On n’est finalement pas si souvent « remué » par un polar qu’on a entamé en croyant s’engager dans un autre divertissement « standard » : la Dernière Tempête s’avère un choc qui nous pousse à reconsidérer notre jugement sur Ragnar Jónasson…
Sur la quatrième de couverture, il est écrit : « Ragnar Jónasson ne serait-il pas le meilleur auteur de romans policiers de notre époque ? », une citation du Times… D’abord, on ricane de ces grossières ficelles du Marketing de best-sellers, Jónasson étant reconnu depuis une dizaine d’années comme auteur à succès…
Et puis, arrivés à la page 176 de l’édition de poche de la Dernière Tempête, qui marque la fin de la première partie du livre, on doit bien avouer que cela fait très longtemps qu’on n’a pas été aussi remué, asphyxié même par un livre… Cette double histoire de deux femmes vivant en parallèle des journées qui constituent le pire cauchemar de leur existence est exceptionnellement intense, combinant l’urgence qui nous empêche de refermer le livre, avec un profond sentiment d’horreur qui fait que la Dernière Tempête transcende à ce moment-là le tout-venant des polars qu’on lit surtout pour se divertir à bon compte. Mais déjà, le lecteur attentif percevra un décalage significatif entre les deux récits : l’un est clair dans l’horreur qu’il décrit, et son issue est malheureusement rapidement prévisible, l’autre s’apparente à une sorte de trip mental dans lequel les repères nous font peu à peu défaut. Les deux sont néanmoins nourris de mécanismes psychologiques forts et bien connus : d’un côté, un sens de perte de réalité lié à un isolement extrême, et de l’autre un déni typique face à l’horreur d’une situation inacceptable. Deux situations, deux mécanismes que Jónasson illustre magistralement, il faut bien le reconnaître.
Parvenu à de telles hauteurs, la Dernière Tempête ne peut que redescendre dans sa seconde partie, qui emprunte les voies plus prévisibles a priori de l’enquête policière. Mais la révélation de ce qui se passait réellement derrière ce qu’on a lu, même si elle relève d’un artifice narratif bien connu dans le genre, reste profondément satisfaisante : la Dernière Tempête n’est pas si loin finalement d’un « mindfuck », dissimulé derrière la banalité d’un récit de tempête islandaise et de « home invasion » paradoxal.
Et quand on le referme, on se dit qu’il ne reste guère qu’une seule chose à faire : reprendre notre lecture depuis le début.
Eric Debarnot