Entre l’horrifique et le conte de fée, la misogynie passée au mixeur de Monia Chokri nous offre à travers Babysitter, une grinçante comédie réjouissante. N’ayez pas peur, ici il y a du « gaze » à tous les étages, et c’est aussi hilarant !
Pour son deuxième film après La Femme de mon frère (2016), acclamé et récompensé par le Prix coup de cœur du Jury Un Certain Regard au Festival de Cannes 2019, l’actrice/réalisatrice Monia Chokri s’attaque à l’adaptation de la pièce de théâtre Babysitter, écrite en 2016 par Catherine Léger. « En sortant du théâtre, c’était une évidence pour moi : il fallait adapter cette pièce au cinéma et il y avait même urgence à le faire. J’ai dit à Catherine que le premier des projets que j’avais envie de développer avec elle était Babysitter. Ça l’a emballée. » La réalisatrice donne carte blanche à l’autrice pour adapter sa propre pièce à grand succès. Catherine Léger ravie de cette collaboration avec la cinéaste, amplifie l’histoire à travers différents lieux et de nouveaux personnages pour y gagner en profondeur.
Tel un uppercut la réalisatrice plonge directement sa caméra dans le visage éructant de Cédric (ingénieur quadragénaire excellemment incarné par Patrick Hivon) qui assiste à un combat ultime de MMA (Mixe Martial Arts) accompagné par deux collègues. Cette bande de potes alcoolisée profère remarques stupides et sexistes et jette de nombreux regards libidineux à l’encontre de jeunes femmes assises devant eux. La caméra capte en plans saccadés et très serrés ainsi l’étroitesse de leur esprit et le « male gaze » malplaisant qui en découle. Jusqu’à ce que la sortie du match Cédric se permette même d’embrasser sur la joue (sans son consentement) une journaliste en plein direct, en lui criant « J’t’aime Chantal! ». Ce « bécot » fâcheux devient rapidement viral sur les réseaux sociaux. Il engendre malaise dans son couple déjà désaccordé avec sa femme Nadine (épatante Monia Chokri), bien déprimée et épuisée après l’accouchement de leur fille particulièrement bruyante, un mise à pied par son entreprise, l’opprobre de son frère journaliste (formidable Steve Laplante), et la remise en question profonde de sa misogynie. Après réflexion et remise en question Cédric s’attache à la rédaction d’un livre intitulé «sobrement » Sexist Story ! Mais l’arrivée d’une babysitter d’enfer (surprenante Nadia Tereszkiewicz), engagée en cachette de sa femme par Cédric, va bousculer tous les rapports établis, les désirs et les valeurs profondes de chacun des principaux protagonistes. Le chaos est dans la pièce.
https://www.youtube.com/watch?v=_MRU5u05b0k
Mais loin du personnage du visiteur dans Theorème (1968) de Pier Paolo Pasolini, le conte de fée prend d’abord toute sa place grâce à cette Amy qui ne veut que du bien. Cette nounou aux allures de « Lolita » et de Brigitte Bardot apporte à la fois candeur et sensualité, par le biais d’une mise en scène en 35mm qui accentue la référence au cinéma érotique des années 70 par son grain particulier et intensifie le côté kitsch des décors (maison de banlieue à l’uniformité bourgeoise sans cachet, clinique pédiatrique…). La superbe réalisation ne cesse de détourner les codes de films de genres (notamment les films d’horreur où la femme est souvent la source du mal), bien aidée par des choix musicaux (Fuck the pain away de Peaches, Ice Out Baby-G par Nate Husser, Immensità de Andrea Laszlo de Simone…) toujours judicieux et une prégnante bande originale d’Emile Sornin. Cet original parti pris de mise en scène judicieux agrémenté de multiples changements de valeurs de plans suivant les séquences, détone et amplifie les nombreux questionnements sur nos regards, la misogynie, le consentement, et sans manichéisme met un bon coup de pied ultramoderne dans notre rapport hommes/femmes, le couple, la maternité et la sexualité. Cette grinçante satire burlesque brille également par ses dialogues subversifs nourris par les savoureuses expressions québécoises à l’épatante liberté de tons. Une œuvre inventive qui interroge autant qu’elle surprend drôlement, tabernacle ça (se) déguste sans modération !
Sébastien Boully