Nous envisagions un peu ces retrouvailles retardées avec Peter Hammill et son VDGG comme une ultime chance de le voir sur scène, mais la force de cette musique et de ces textes n’a rien eu de crépusculaire hier soir, au Trianon. Et nos larmes ont coulé…
Deux ans que l’on attend cette tournée des vétérans « prog » de Van Der Graaf Generator, reportée 2 fois ! Mais ce soir nous y sommes enfin, assis dans les sièges de la délicieuse salle du Trianon. Le public est, sans surprise, d’un âge sinon proche de celui du groupe – Peter Hamill a quand même 73 ans – mais du moins en moyenne bien plus élevé que d’habitude en ces lieux. Beaucoup des plus jeunes d’entre nous ne savent rien de VDGG, l’un des groupes les plus originaux et radicaux des années 70, bien plus intéressants que le mouvement auquel ils sont généralement assimilés. Certains connaissent la comparaison entre le jeu vocal de Hammill à celui de Jimi Hendrix à la guitare, mais rappelons aussi que John Lydon avait cité, à l’époque des Sex Pistols, Peter Hammill comme une grosse influence sur son chant, ce qui pose quand même certaines bases…
20h : Peter Hammill et Hugh Banton sont assis face à face, chacun devant ses claviers, la batterie de Guy Evans est entre eux, il ne manque bien entendu que les saxos de David Jackson, sans l’hystérie desquels la musique de Van Der Graaf Generator est forcément beaucoup plus nue. L’âge et la crise cardiaque de 2003 ont visiblement fragilisé physiquement Hammill, toujours aussi maigre, mais on est très vite rassurés, la VOIX, cet instrument fabuleux qui caractérise finalement mieux que tout autre chose VDGG, est quasiment inchangée : elle tonne, elle gronde, elle murmure, elle menace, elle séduit, presque comme à la première heure, et il y a une indéniable émotion à la retrouver en live, aussi longtemps après les débuts du groupe.
La première partie du premier set (il y en aura deux avec un entracte de 20 minutes au milieu…), débute sur le peu connu Interference Patterns, et sera plutôt calme : elle est surtout composée de morceaux postérieurs à la reformation du trio en 2005, morceaux qui suscitent naturellement moins d’enthousiasme du public, venu largement pour entendre les grands classiques de la plus belle époque du groupe, disons de Pawn Hearts à World Record, ces cinq ans de 1971 à 1976 où VDGG était littéralement intouchable. On remarque très vite que Hammill a besoin d’avoir les textes de ses chansons devant lui pour s’en souvenir (il ne les quitte pas des yeux), et cela fait un peu mal au cœur…
« It takes a lifetime to unlearn all you know » (Il faut toute une vie pour désapprendre tout ce que tu sais) : Hammill est maintenant debout, triture sa guitare – on se souvient qu’il n’a jamais été particulièrement convaincant avec cet instrument, et disons qu’avec les années, ça n’a guère changé… Et le premier moment d’émotion survient sur Lifetime, nous préparant à la déferlante que va être le prodigieux Childlike Faith in Childhood’s End, dans une version qui semble dépouillée sans le saxo. Ce sera aussi le premier vrai défi vocal pour Hammill qui va s’employer, ma foi plutôt bien, à retrouver les hauteurs stratosphériques de 1976. Le déchaînement de furie et de douleur est bien là, l’ovation du public sera assourdissante. Le premier set de 50 minutes se termine sur Go, une chanson poignante qui, nous explique Peter, parle de ces deux dernières années de confinement, de maladie et de troubles que nous venons de vivre. La conclusion en est terrible : « There’s the thing / For all you know / It’s time to let go… » (Voilà la vérité / Pour tout ce que tu en sais / Il est temps de lâcher prise…).
On se remet de ses émotions pendant une vingtaine de minutes, et on attend la seconde partie du concert, qui devrait logiquement être dédiée à des chansons plus anciennes. Ce sera le cas, même si la set list comprendra encore deux morceaux récents, Alfa Berlina (avec sa cacophonie de circulation sans doute italienne…) et surtout le très beau Room 1210, avec encore une fois un texte magnifique que l’on déguste littéralement lorsque Hammill le chante, avec une subtilité impressionnante : « Now he’s not ever going home / Behind the door / There’s just one favour, he implores: / Do not disturb him / Any more » (Il ne rentrera plus jamais chez lui / A travers la porte / « Je ne demande qu’une faveur », il supplie : / « Ne me dérangez pas / Plus jamais »…).
Mais ce qui va électriser le public – et nous aussi, puisque nous sommes venus pour ça, non ? – c’est le trio Lemmings (chaos jazzy en prime) / Sleepwalkers (ah ! ces petites notes d’orgue en introduction qui annoncent dix minutes de bonheur !) / Man-Erg (dans une version que nous avons trouvée absolument parfaite). Beauté et tourment s’entremêlant pour toujours… No comment !
Peter Hammill, qui parle un français très correct (même si, ironiquement, il explique que l’Angleterre est maintenant « brexiteuse »), nous a annoncé que le groupe, voulant se protéger, ne viendra pas parler et signer des autographes à la fin du set, nous implorons donc un dernier rappel avant de les quitter. Nous savons qu’ils ne jouent qu’une chanson en rappel, mais que, au cours de la tournée, ça aura été toujours une merveille : The House with No Door, Still Life, ou… Refugees. Tout le monde réclame Refugees, bien entendu, et… nous serons récompensés.
Impossible de retenir nos larmes durant ces 5 dernières minutes du concert. Parce que c’est l’une des plus belles chansons que nous connaissions. Parce que la chanter est un défi quasiment impossible à relever pour un homme de 73 ans, et que Hammill va aller chercher très loin en lui les ressources pour le faire, et tour à tour réussir et échouer. Et parce que bien sûr son texte – métaphorique à l’époque, tristement réaliste aujourd’hui – plein de compassion et d’amour pour les réfugiés résonne terriblement dans une Europe à nouveau en guerre : « We’re Refugees, walking away from the life / That we’ve known and loved / Nothing to do nor say, nowhere to stay / Now we are alone / We’re Refugees, carrying all we own / In brown bags, tied up with string / Nothing to think, it doesn’t mean a thing »…
Nous sommes des réfugiés, laissant derrière nous la vie que nous avons connue et aimée. Il n’y a rien à faire, rien à dire, nous n’avons nulle part où demeurer. Maintenant nous sommes seuls, nous sommes des réfugiés, qui portons avec nous tout ce que nous possédons, dans des sacs marrons, attachés avec de la ficelle. Il n’y a rien à penser, cela ne veut rien dire…
Merci Peter, merci Hugh, merci Guy. Et bonne route.
Texte et photos : Eric Debarnot