La tournée européenne des Wombats pour promouvoir Fix Yourself, Not the World a débuté hier soir sous les meilleures auspices dans une Machine du Moulin Rouge en surchauffe, et nous a rappelé combien leur Art est singulier, dans son mélange inédit de désespoir et d’énergie dansante.
« Let’s dance to Joy Division and celebrate the irony / Everything is going wrong, but we’re so happy ! » (Dansons sur Joy Division et célébrons l’ironie / Tout va mal, mais nous sommes tellement heureux !). C’était en 2007, et les Wombats créaient une petite sensation avec leur mélange de folie punk, d’humour et de désespoir. Beaucoup d’eau a passé sous les ponts depuis, et on a eu l’impression que le groupe s’était un peu banalisé à la recherche du succès commercial… Un succès finalement rencontré par hasard, on le sait, et de manière absurde, via Tik Tok, et leur terrible Greek Tragedy, popularisée à travers son gimmick de claviers. Fix Yourself, Not the World, leur nouvel album sorti en janvier, a resuscité note intérêt pour cette pop music énergique et maligne, baignant dans l’humour… noir, très noir ! La Machine du Moulin Rouge est même complète ce soir pour leur grand retour (et le début de leur tournée sur le Continent)… même si on se rendra compte qu’une bonne partie du public vient de Grande-Bretagne ou de divers pays européens…
19h20 : Un horaire inhabituel pour des Parisiens mais approprié pour le contingent britannique qui est là, et Vistas entament un set de rock carré et sans chichis. Ces Écossais sympathiques nous annoncent que ce concert sera leur premier en dehors du Royaume Uni : bravo, d’autant que le public, très bon enfant, leur réserve un accueil chaleureux. Il y a quelque chose des Fratellis dans cette approche très pop et très « in your face » d’un rock qui ne se soucie pas des modes ni du temps qui passe, qui accepte quelques influences US (un doigt de country ici et là), mais vise un format d’hymnes populaires, faciles à retenir. Rien de mal à ça, au contraire… même si l’inspiration faut quand même largement défaut à Vistas, et qu’on a du mal à leur imaginer un futur…
20h20 : Il est quelque part rassurant de voir un groupe qui, en presque 20 ans d’existence, a conservé les mêmes membres, son trio de base : Matthew Murphy, le leader, le « poète torturé », qui a minci au fil des années et arbore un look et une coupe de cheveux beaucoup plus sages, Tord Øverland Knudsen, incroyable bassiste bondissant, qui assure le spectacle quasi à lui seul et déverse une bonne humeur inaltérable même sur les chansons les plus tragiques, et Dan Haggis, qui parle un français impeccable, et sera notre interlocuteur permanent pendant les riches une heure et trente-cinq minutes de set. Le fait que ces trois-là soient aussi dissemblables, et donc complémentaires, explique certainement la bonne tenue du groupe à travers les années, et son obstination à creuser avec un indéniable talent un sillon assez inhabituel, celui de la pop « intelligente » faisant le grand écart entre la tradition punk et le mainstream.
En démarrant le set par les deux mêmes titres, tous deux accrocheurs, du nouvel album, Flip Me Upside Down (une véritable bombe, et une excellente ouverture de la soirée…) et This Car Drives All by Itself, The Wombats placent clairement cette tournée sous le signe du nouvel album. Comme il est excellent, on ne saurait que s’en réjouir : la setlist inclura finalement neuf des onze chansons du disque ! Et d’ailleurs, on ne peut s’empêcher de trouver Moving to New York, premier titre rescapé des débuts, un peu… usé : sans doute trop joué, il a un aspect mécanique qu’on ne retrouve pas dans les nouvelles chansons, plus riches, plus complexes. Contrairement à ce que nous imaginions, et à la majorité des groupes, les Wombats se bonifieraient-ils avec l’âge ?
Le public, majoritairement féminin, sera à fond du début à la fin du concert, qui, fait assez rare pour être signalé, ne marquera aucune faiblesse : les Wombats ont désormais un songbook en or massif, qui leur permet d’envisager l’avenir avec sérénité. En alternant bijoux pop (People Don’t Change People, Time Does…) et accélérations dansantes (Ready for the High, avec cette voix de fausset qui évoque Two Door Cinema Club, Techno Fan…), permettant d’injecter de l’adrénaline à doses régulières, le trio nous tient clairement à sa merci. Après, chacun aura son content en fonction de ses goûts : nous retiendrons le terrible Everything I Love Is Going to Die, l’une des meilleures illustrations possibles de l’art de Matthew Murphy pour écrire des chansons (presque) gaies sur des sujets (totalement) dépressifs : « Everything I love is going to die / So baby keep your big mouth shut and stop wasting my time / Icarus was my best friend / So I’m gonna make him proud in the end » (Tout ce que j’aime va mourir / Alors ferme ta grande gueule et arrête de me faire perdre mon temps / Icare était mon meilleur ami / Alors je vais le rendre fier à la fin…).
Comme il se doit, le grand final sera absolument parfait, avec les deux hits récents que sont If You Ever Leave, I’m Coming with You et Greek Tragedy (forêt de téléphones portables levés pour filmer le titre, attention Tik Tok va chauffer !), et surtout un rappel superlatif : Method to Madness, l’un des rares titres partiellement lents du groupe, pourrait bien être leur meilleur de toute leur carrière, tant l’explosion de furie qui le conclut permet à Matthew de formuler de manière ouverte ses frustrations : « Fuck my sadness, and fuck your roleplay / No construction, I’ll build it my own way / No more subscribing, and no reviews / Fuck our options, and fuck the life plan / No more worry, I killed it with both hands » (J’emmerde ma tristesse, et j’emmerde ton jeu de rôle / Pas de projet, je construirai à ma façon / Plus d’abonnement, et pas d’opinion / J’emmerde nos options, et j’emmerde notre plan de vie / Plus d’inquiétude, je l’ai tuée à mains nues). Que c’était bon de hurler « Fuck my sadness ! ». Et puis, évidemment, le titre-signature du groupe, Let’s Dance to Joy Division, qui lance un pogo exalté dans toute la salle, mais permet surtout à Matthew de clamer de manière tragique sa terrible conclusion : « Oh, we are so happy ! ». Tu parles, Charles !
Il est presque dommage d’ajouter, après cette apogée de leur art, un Turn trop tiède et consensuel qui semble parfois loucher vers un succès « à la Coldplay », et qui trahit un peu l’esprit de ce concert passionnant.
Et si nous étions redevenus fans des Wombats, un groupe que nous avions un peu oublié ?
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot