Alors qu’on s’approche de la célébration des 50 ans du mouvement punk, dont l’impact sur la musique et sur la mode et le design reste visible de nos jours, Malcolm McLaren – L’Art du désastre revient avec brio sur l’histoire et sur la personnalité tourmentée de l’homme par qui le chaos advint.
La plupart de ceux qui ont vécu l’apparition stupéfiante, la gloire stratosphérique, puis le déclin lamentable des Sex Pistols ressentent peu de sympathie envers Malcolm McLaren : le manipulateur derrière le mythe, le marionnettiste diabolique dans l’ombre d’un groupe révolutionnaire qui, s’il changea le monde de la musique, n’accoucha lui-même que de peu de choses, fut rapidement diabolisé par John Lydon, fermement décidé à poursuivre son chemin artistique. Logiquement, en bons fans de musique, nous adoptâmes le point de vue de Lydon, et les événements, aussi tragiques (la mort de Nancy, puis de Sid) que risibles (les derniers soubresauts du groupe, un Great Rock’n’Roll Swindle pitoyable) nous donnèrent – au moins en apparence – raison. Et McLaren disparut peu à peu de la scène, alors que Vivienne Westwood, son ancienne complice et partenaire, connaissait la reconnaissance de ses pairs de la mode, et que Lydon justifiait son existence par une carrière plus qu’honorable avec PIL.
Pourquoi revenir, quarante-cinq plus tard, sur cette histoire (au de là du fait que l’histoire des Pistols fait toujours vendre, comme en témoigne le projet polémique de série TV qui suscite en ce moment bien des débats…), surtout pour « défendre » l’indéfendable McLaren ? Présenté dans la préface de Malcolm McLaren – L’Art du désastre comme une sorte de génie situationniste par un Jean-Charles de Castelbajac qui semble surtout prêt à tout pour justifier les actes son ancien pote, McLaren mérite-t-il réellement le respect avec lequel Marie Eynard et Manu Leduc, les scénaristes, le traitent ici ? Peu importe peut-être, pourvu que ça fasse une bonne histoire, un bon livre ? Et, adaptant en images les souvenirs, déjà publiés en livres, de la plupart des acteurs du psychodrame des Pistols, L’Art du désastre est un livre formidable !
On part ici de la petite enfance de McLaren, de sa scolarité désastreuse perturbée par un comportement chaotique et caractériel, on suit le jeune juif écossais dans ses premières tentatives avortées de devenir un artiste – lui qui n’a visiblement que peu de talent en la matière. Puis, toujours aidé par sa grand-mère qui le soutiendra inconditionnellement toute sa vie, Malcolm rencontre Vivienne, se lance dans le commerce de fringues provocantes, avant de saisir très vite le potentiel de la rébellion et du chaos : le potentiel commercial ? Oui, mais pas seulement, car on verra ici, au fil de pages passionnantes, comment Malcolm n’a pas cherché à capitaliser financièrement sur le succès de ses expériences de plus en plus extrêmes, mais aura au contraire toujours rechercher le désastre, dans un geste d’autodestruction aussi joyeux qu’absurde. Sans réaliser vraiment que, dans sa course vers l’abime, il entraînait avec lui son entourage qui n’en demandait pas tant ! Et dont certains paieraient le prix fort.
Et c’est là que, finalement, la comédie de société se mue en drame humain. Un drame que les auteurs font le pari de relier de manière sans doute trop facilement freudienne à l’abandon, à l’absence du père dans une introduction et une conclusion qui échappent seules au chaos qui est décrit, page après page, dans le livre.
Il faut souligner l’étonnant graphisme de Lionel Chouin, qui a choisi un style a priori peu attrayant, mais rapidement très impliquant pour le lecteur, afin de réellement « nous faire vivre » – au lieu de simplement les illustrer – le chaos permanent, l’énergie folle de ces quelques années de créativité et de violence qui ont permis à une poignée de musiciens anglais – londoniens pour beaucoup – de littéralement changer le monde.
Voici donc une BD incontournable pour les vieux punks que nous sommes, mais surtout pour tout jeune artiste qui veut comprendre – et apprendre – comment mettre le feu à une société tout entière. Quitte à brûler soi-même.
Eric Debarnot