En ces temps troublés où la guerre resurgit à nos portes, Kôkami Shôji et Azuma Naoki nous rappellent les folies d’un nationalisme fanatisé dans le manga Le Pilote sacrifié. L’histoire vraie d’un pilote kamikaze durant la Seconde Guerre Mondiale.
Signée par Shoji Kokami, la parution de la biographie de Sasaki Tomoji fit du vieillard une gloire japonaise. Sasaki est mort en 2016, dans son lit, à l’âge de 92 ans. Il avait toujours rêvé de voler. Il s’était engagé à 17 ans et, à force de travail, avait été breveté pilote. Mais, le rêve a eu tôt fait de tourner court. Le Japon était sur la défensive, l’état-major appela au sacrifice. Il fut muté dans l’un des premiers « corps spéciaux », une unité kamikaze. Il en sera l’un des rares rescapés. Mieux, il a survécu à neuf missions suicides. Shoji Kokami a adapté son propre récit en manga.
Le volume débute par un piqué mortel suivi d’une explosion, le ton est donné. Il poursuit par son enfance, Sasaki est le sixième enfant d’une fratrie de douze. Par une étrange ironie de l’histoire, son père fut le seul survivant d’une attaque suicide, en 1904, face aux Russes. Alors qu’ils terminent leur formation, douze pilotes sont envoyés à Taïwan. Ils découvrent en chemin que leur mission sera sans retour. Il ne s’agit pas d’une mission de sacrifice dont la plupart ne reviendront pas, mais d’une révoltante mise à mort. Leurs appareils ont été équipés d’une bombe de 800 kilos impossible à larguer. Ils s’écraseront sur des navires américains.
L’histoire est connue, mais, pour la première fois, nous assistons à leurs réactions. Si les officiers parviennent à masquer leurs sentiments, les sous-officiers sont terrifiés. Ils veulent vivre. Leur terreur est rassurante. Seul Sasaki sourit, il tient à conserver la joie de voler. La scène de l’adieu du capitaine Iwamoto à sa femme est poignante. Nous savons que le héros et l’expert du bombardement « par ricochet » est furieux d’être bêtement sacrifié. Sa désignation est une punition, il a osé s’opposer publiquement à la mission. Il parvient à refouler sa peine et à sourire en lâchant : « Tu dois être fière Kazuko, tu vas être veuve… »
Le dessin dynamique d’Azuma Naoki est fort classique. Ses avions volent sous la pluie et le vent. Il magnifie Iwamoto et rajeunit Sasaki. Il nous rappelle utilement que les guerres sont faites par de grands enfants et que les fameux kamikazes n’étaient pas tous volontaires. Pour savoir comment Sasaki a survécu, il vous faudra patienter, la série devrait comporter dix tomes.
Stéphane de Boysson