Calexico – El Mirador : Salade mexicaine

 A l’heure où l’Amérique post-Trump se réveille avec la gueule de bois, sa frontière sud hérissée de ce mur aussi honteux qu’un carcan, le groupe de Tucson signe un album grandiose qui plane loin au-dessus de tous les superlatifs. Un pont jeté à leurs voisins et frères mexicains.

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© Photo Holly Andres – Holly Andres

Bon, je l’avoue : jusqu’à présent, je n’ai jamais été vraiment fan de Calexico. Si je trouvais le combo séduisant, au moins sur le papier, pour le registre singulier dans lequel il semblait faire son lit, l’ensemble me paraissait branlant, sinon hésitant. Les albums peinaient à tenir une ligne directrice claire, à la merci d’influences hétérogènes et non solubles. Les chansons, mi-figue (de barbarie) mi-raisin, sautaient du coq à l’âne sans que je n’y comprenne rien. De loin en loin, j’appréciais quelques chouettes mélodies que le groupe disséminait épisodiquement sur ses albums, et cela suffisait à faire mon jour. Sans compter qu’il y avait par ailleurs fort à faire…

Calexico-El-MiradorAllez savoir pourquoi, en ce début du mois d’avril assommé par la guerre et le spectre d’une élection à l’issue sordide, mon oreille s’attarda sur El Mirador, dernier née de la famille. Était-ce le nom ? El Mirador ! L’envie de prendre de la hauteur, de survoler les ruines. D’ouvrir grand la fenêtre pour laisser entrer le vent nouveau, celui qui agite les rideaux de cette belle pochette irisée de soleil. Celui aussi qui brise le verre de nos fenêtres aveugles sur le monde, de nos écrans. Les Etats-Unis émergent d’un cauchemar. Quatre ans de grand blond à la mèche ridicule, deux ans de confinement. Tu m’étonnes ! Il y avait dans l’air comme un besoin d’oxygène.

Toujours est-il que je me retrouvai soudain dans la peau du prophète recevant la parole divine au Sinaï. Dès les premières notes de la chanson éponyme, la trompette des anges m’annonçait une nouvelle. Mieux : une révélation ! Et je me mis en route au rythme chaloupé et bancale de la cumbia qui imprimait sa marque irrésistiblement. La cumbia, tu peux pas test ! Elle a raison de toi, elle vient à bout de toutes tes résistances. Insidieusement, elle sape toutes tes certitudes de son pas claudiquant, t’obligeant à retrouver un autre équilibre dans le mouvement.

La musique de Calexico est ici plus lumineuse que jamais, en dépit même du sinistre avertissement d’ouverture. Cuidado con el Mirador ! Allusion à une tour de surveillance sinistre donc, en lieu et place de ce belvédère que je m’étais imaginé, tour que le groupe va s’acharner à faire voler en éclat, à transcender. Mais il n’y a pas de sens unique à une œuvre, ce qui est particulièrement frappant ici. Etayé par des textes parfois narquois, El Mirador, l’album, s’élève au-dessus du chagrin, perce les nuages bas et lourds de pluie. Les refrains harceleurs hantent vos nuits et vous cueillent dès le réveil. La cadence obsédante de ce pays où l’été ne meure jamais mirage vos oreilles de pop-songs impeccables baignées de trompettes mariachis. Etrangement, le refrain de Then You Might See évoque House Of Love. Nul doute que l’ami Guy Chadwick aurait bien sifflé cette mélodie comme de la tequila. Oui, de la pop-song impeccable qui ne dépareille pourtant pas le moins du monde aux côtés de composition plus franchement encrées dans un répertoire latino, comme The El Burro Song.

El Mirador, album gorgé de soleil et de belles mélodies, fait montre d’une belle cohérence. Il trouve en outre un son à la hauteur des arrangements cuivrés. Tout y plane dans une atmosphère empreinte de joie, parfois teintée de mélancolie, pour atteindre un équilibre quasi parfait. Chaque note, chaque instrument trouve sa juste place, du guiro aux violons. On sort de ce disque enfiévré par le rythme hypnotique du Mexique, et sans même que l’on s’en aperçoive, la cadence de sa vie a déjà imperceptiblement changé.

Arnaud Proudhon

Calexico – El Mirador
Label : City Slang / PIAS
Date de sortie : 8 avril 2022