Mauro De Luca et Bepi Vigna illustrent les souvenirs du dessinateur italien. Une biographie romancée et joliment imagée de la folle jeunesse de Hugo Pratt.
Hugo Pratt tient une place particulière dans le cœur des amateurs de bandes dessinées. Si Hergé a inventé la BD franco-belge, René Goscinny et Albert Uderzo l’ont fait rire, avant que Pratt ne la fasse murir, lui offrant un public adulte.
À l’instar d’Ulysse, de d’Artagnan ou de Cyrano, Corto Maltese, sa plus belle création, est entré dans l’imaginaire de tous les aspirants aventuriers. Confrontés à la violence et à la guerre, son héros est plus complexe et moins manichéen que les Anciens. Corto est libre et foncièrement individualiste. S’il accepte de secourir une veuve ou un orphelin, le marin maltais ne sert ni un roi, ni un état. Mieux, Raspoutine, son « capitaine Haddock », est un tueur nihiliste.
Si Pratt fascine ses lecteurs, ce n’est seulement par son style exceptionnel, mais par sa personnalité. Une fois reconnu comme un auteur important, l’auteur italien s’est livré au jeu des interviews. Il a raconté son enfance en Éthiopie, puis sa guerre en Italie. Contraint de servir dans l’armée allemande, il a déserté, rejoint la résistance, puis les forces anglaise. Or, les anecdotes semblent trop belles, trop proches des futures aventures du sergent Kirk ou de Corto Maltese. Les historiens sont troublés. Confondant réalité et fiction, Pratt n’a-t-il pas rêvé une partie de ses aventures ?
Bepi Vigna assume cette féconde distorsion : « Quelqu’un m’a dit un jour qu’on a tous deux vies… Celle qu’on considère comme réelle… et celle qui appartient au monde des rêves… celle qu’on voudrait vraiment vivre. En fin de compte, c’est peut-être cette dernière la plus authentique. »
Le dessin de Mauro De Luca ne prétend pas ressembler à celui de Pratt. Au contraire, son trait est précis et réaliste. Ses visages sont lumineux et ses décors soignés. Ils se retrouvent seulement dans leur commune maîtrise de l’aquarelle. S’il y avait un seul reproche à faire à cette biographie, ce serait sa brièveté. La partie dessinée ne comporte que 48 pages. L’album rassemble des témoignages et des photos d’époque qui n’intéresseront que les fans. Les autres se reporteront au portfolio final qui réunit des couvertures et des dessins de Pratt, une invitation à relire son œuvre.
Stéphane de Boysson