Pascal Rabaté invite Les Deschiens à la décharge de Groland pour un film foutraque, poétique, génialement bricolo et d’une créativité permanente, où se mélangent également les univers de Tati et de Bruno Dumont. Une belle surprise !
Sorti le 20 avril dernier, Les Sans-dents s’est fait littéralement laminer par la presse et n’a pas non plus conquis le public venu voir le film en salle au cours de ces dernières semaines. Avec son titre et son affiche peu engageants et sa bande annonce « WTF? », le film de Pascal Rabaté avait tout, semble t-il pour faire reculer les cinéphiles les plus aventureux. Pourtant, cette bande « d’affreux, sales… mais pas méchants » méritait un meilleur accueil que ça…
Même si le côté film muet – avec des personnages ne s’exprimant que par borborygmes, des râles ou des rires, surtout des rires – peut quelque peu rebuter au départ, très vite on oublie cette absence de dialogues pour se concentrer sur cette galerie de personnages hauts en couleur, incarnés magnifiquement par Yolande Moreau, Gustave Kervern, François Morel, David Salles, Charles Schneider, Vincent Martin…
Vivant tous sous une décharge, les hommes et femmes de cette tribu de joyeux crasseux s’amusent à récupérer, recycler tout un tas d’objets et de matériaux divers que ce soit du cuivre, des tondeuses, des élévateurs ou des objets gonflables tels que des poupées, des vibromasseurs, des bouées ou encore un énorme canard gonflé à l’hydrogène.
Pas la peine d’imaginer une quelconque satire sociale ou même une critique de la société capitaliste et consumériste, Les Sans-dent c’est avant tout un film de cinéma d’une grande liberté, un hommage aux comédies d’Ettore Scola, Dino Risi, Mario Monicelli… racontant la vie d’une troupe de zinzins vivant hors du monde, passant son temps à réinventer des objets, à faire les fous et à prendre du bon temps.
Un film foutraque, génialement bricolo et d’une créativité permanente. On pense évidemment aux spectacles de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps au temps des Deschiens, mais également au cinéma de Tati, à Groland, à l’humour de Bruno Dumont quand il fait P’tit Quiquin et Ma Loute.
Un cinéma sans doute déroutant de prime abord, qui peut irriter, agacer, qui n’est peut-être plus forcément dans l’air du temps, mais duquel se dégage un côté loufoque, joyeux, bizarre, absurde avec en plus une dimension artistique et plastique intéressante à travers les décors conçus avec le sculpteur et plasticien Angelo Zamparutti. On y voit une installation étrange et étonnante faite d’éléments de salle de bain, de canalisations et de tuyaux de cuivre, imaginés dans une maison sans mur, le tout posé sur un terrain vague.
On imagine bien les difficultés qu’a pu rencontrer le réalisateur des Petits ruisseaux pour monter ce film « invendable » mais au final très attachant, racontant la vie de ces « invisibles », de ces oubliés du quart-monde que l’on croise rarement ou jamais et à qui le réalisateur rend un bel hommage.
Benoit RICHARD