D’une folle ambition formelle, narrative et même métaphysique, Outer Range est une série exigeante et pas très aimable pour ceux qui chérissent la logique et la lisibilité, mais qui ravira sans doute tous ceux qui aiment que le cinéma soit un défi.
Dans le registre post-moderne du « mélange de genres », dont les cinéastes coréens nous ont développé l’appétence, il faut bien reconnaître que le western de science-fiction n’a jamais été le plus remarquable. Même si ses origines sont lointaines, puisqu’on peut remonter au Westworld de Michael Crichton, voire au troisième volet de Retour vers le Futur, on compte les réussites sur les doigts d’une main… amputée ! Avec Outer Range, le nouveau-venu Brian Watkins, à la fois scénariste et showrunner de cette nouvelle série Amazon « de prestige », relève donc un défi plus que respectable, même si, entouré d’acteurs du calibre de Josh Brolin, Lili Taylor (qui ne semble pas changer avec le temps qui passe) et la pétillante Imogen Poots, il a déjà gagné à l’avance notre intérêt…
L’excellente idée de Watkins, c’est d’avoir parié sur un cinéma « mental », préférant une sorte d’épure symbolique – relativement absconde, il faut l’avouer – plutôt que sur un « réalisme » qui aurait fait courir le risque du ridicule à Outer Range. Il s’agit donc ici de l’histoire de Royal, un père de famille, propriétaire d’un ranch au Wyoming (ça se passe de nos jours, mais le temps semble s’être arrêté là-bas…), dont l’âme est comme un trou noir… trou noir dont on découvrira l’origine dans les derniers épisodes de la série. Et qui affronte l’apparition d’un véritable trou noir au milieu de ses terres, qui s’avère être une sorte de portail temporel. Les choses se compliquent encore plus lorsqu’il doit faire face à une puissante famille d’éleveurs qui convoitent ses biens, et dont son fils vient de tuer le leur !
Non, ce n’est pas simple, et soyez prévenus : Outer Range ne rend pas les choses faciles à ses téléspectateurs en choisissant de rejeter toute logique (les fans de SF bien construite se lasseront très vite d’une suite d’événements fantastiques sans grande cohérence), et surtout – à l’image de ce qu’on avait déjà regretté avec The Underground Railroad – en filmant une très grande partie des scènes dans une obscurité quasi-totale.
Nous voici donc devant une série dont le scénario réfute toute logique, hormis celle des émotions et des sensations, et dont on ne pourra que deviner une partie non négligeable des scènes. Quant à la conclusion, avec un dernier épisode assez sidérant, rempli de violence (des sentiments comme physique), on ne peut pas dire qu’elle « éclaire » grand-chose de ce que Outer Range nous a raconté jusque-là. S’il s’agit là d’une mini-série (puisque que quand nous écrivons, il ne semble pas y avoir d’annonce d’une seconde saison), on frôlerait presque l’escroquerie…
Et pourtant, et pourtant, Outer Range ne saurait être rejetée sans appel (à part pour ceux qui aiment leurs histoires compréhensibles), parce qu’elle est construite comme une suite de véritables moments de cinéma, certains frôlant même l’excellence (… on a hésité à écrire « le sublime »). Il y a d’abord un passionnant côté « soap » qui se traduit par de grandes et chaotiques scènes de traumatismes familiaux, on pourrait presque dire « à la Dynasty ». Il y a de magnifiques moments d’errance dans la nature sauvage du Wyoming, parcourue d’animaux sauvages revenant des temps anciens. Il y a çà et là des fulgurances SciFi bluffantes mais riches en références (un peu de réalisme magique à la Still Life, de Jia Zhangke, avec la montagne qui disparaît, un beau clin d’œil à Spielberg, une filiation souvent récurrente – l’humour en moins – avec le Twin Peaks de Lynch…). Il y a surtout de longues scènes métaphysiques, où s’accumulent les questions sur la solitude humaine dans un monde abandonné par Dieu – ou bien dans un monde où Dieu est mauvais – (d’où le rapport, à notre avis, avec le No Country for Old Men, des Frères Coen). Bref, Outer Range est un spectacle en tous points passionnant… pour ceux qui ne craignent pas une bonne dose d’inconfort.
Eric Debarnot