La mangeuse de guêpes se présente comme un recueil de nouvelles reliées en elles, dans lequel Anita Nair évoque avec beaucoup de sensualité et même une certaine dose d’érotisme le droit pour les femmes indiennes de choisir leur vie.
« Le jour où je me suis donné la mort, il faisait un temps radieux. C’était un lundi. Un début de semaine ». L’héroïne de ce roman introduit l’histoire qu’elle raconte par cette phrase choc, l’histoire d’une femme indienne résidant dans le Kerala, là où Arundhati Roy a elle aussi situé certaines de ses magnifiques histoires. Poétesse, écrivaine à succès, enseignante, biologiste, elle n’a pas accepté un mariage arrangé, elle a écrit des livres où les femmes expriment leur désir de liberté et leurs envies des plaisirs de la chair. Elle est rejetée par tous, sa famille, son amant, ses amis, ceux qu’i l’emploient, ses étudiants, ses collègues… elle est bannie.
Elle erre dans l’entre-deux mondes car son amant a dérobé l’une de ses phalanges après la crémation rituelle, un squelette incomplet ne peut pas accéder à l’autre monde. Il a caché cette phalange en souvenir de son amour mais un jour une fillette trouve ce petit os qui commence alors un long périple de main en main que la victime raconte en mettant en scène la vie des femmes qui détiennent provisoirement cet os banal pour celles qui le possèdent mais si précieux pour celle qui ne l’a plus. L’histoire qu’elle raconte c’est celle des femmes indiennes soumises aux dures lois des religions, des traditions, des coutumes et surtout des hommes. C’est l’histoire de celle qui quitte son mari pour retrouver un amant, de la fillette maltraitée, violée par un sbire de son père, d’une fille défigurée par celui qu’elle repousse, … Un véritable catalogue de ce que peuvent endurer les femmes dans la société indienne actuelle. Les réseaux sociaux n’ont rien arrangé, ils n’ont qu’envenimé la situation en facilitant les contacts entre les deux sexes qui ont toujours été très réglementés.
Ce roman se présente comme un recueil de nouvelles racontant chacune les mésaventures d’une épouse, souvent délaissée, d’une amante, condamnée au pire si elle est démasquée, d’une fillette, trop souvent abusée, d’une fille, toujours donnée en mariage à un homme qui parfois la répugne, de toutes ces femmes soumises à un code très rigide que l’auteure dénonce et voudrait brisé. L’os qui voyage de main en main est le témoin qui relie les divers récits pour qu’ils constituent un véritable roman et non un recueil de nouvelles. Un roman dans lequel, Anita Nair ose, comme son héroïne, évoquer le droit de choisir pour les femmes au même titre que les hommes et aussi leur droit au plaisir de la chair. Elle glisse dans ses textes beaucoup de sensualité et même une certaine dose d’érotisme pour affirmer ce droit.
Les pages de ce livre grouillent de personnages les plus divers comme les rues de Bangalore où se déroulent certaines histoires de ce roman et pourtant dans cette foule exubérante, il est interdit de montrer un amour qui n’est pas accepté par l’ensemble du corpus coutumier et religieux comme il n’est pas convenable pour une femme d’écrire surtout quand elle évoque ses sentiments et ses états d’âmes.
L’héroïne comme l’auteure a choisi son sort et son destin : « Je décrétai la poursuite de ma liaison défendue et ma thèse en même temps. J’allais m’atteler aux deux projets avec autant de sérieux que de rigueur. En science comme en amour, il ne faut pas craindre d’enfreindre les règles et de subir les conséquences de sa passion ». Elle mène son combat pour que les femmes indiennes se libèrent de leur carcan et accèdent au savoir et aux arts sans contraindre leurs passions.
Denis Billamboz