Peut-on encore raconter aujourd’hui une simple histoire d’amour entre adolescents ? Oui, et même créer un déluge d’émotions, nous répond Heartstopper, brillante adaptation télévisuelle d’une BD qui aborde avec légèreté et pertinence une romance homosexuelle et ses conséquences. Un délice absolu…
Gros gros buzz du moment, sans même parler d’un soutien publicitaire conséquent avec affiches dans le métro parisien, Heartstopper sera-t-elle l’une des séries à succès de 2022 pour Netflix ? Il se dessine en tous cas un consensus et parmi la critique, et parmi les téléspectateurs pour vanter les charmes de cette nouvelle courte série anglaise (8 épisodes de 30 minutes) adaptée d’un roman graphique à succès d’Alice Oseman. Il est d’ailleurs important de préciser qu’Alice Oseman est également showrunner de la série, ce qui garantit une vraie fidélité, sinon à la lettre (il y a des changements entre l’original et son adaptation télévisuelle), mais du moins à l’esprit.
Heartstopper nous raconte l’histoire la moins originale du monde, la plus usée qui soit : un coup de foudre adolescent au lycée, et le début d’une belle histoire d’amour. Heartstopper joue toutes les cartes les plus convenues, avec de la belle émotion – qui sonne vrai – et des moments – de nombreux moments – délicieusement « feelgood », garantissant une addiction immédiate du téléspectateur et un effet bingewatching inévitable. Après tout, qu’est-ce que sacrifier 4 heures de notre existence, si c’est pour être (plus) heureux ?
Mais évidemment, comme nous sommes en 2022, ce n’est pas « boy meets girl » mais « boy meets boy ». Et aussi « girl meets girl ». Et encore « trans meets boy ». On connaît des gros réactionnaires qui vont encore pester sur la culture woke, contre le lobby LGBT, etc. Tant pis pour eux, tant mieux pour nous qui n’aurons pas à partager notre émerveillement avec ces gens dépassés et haineux. Nous écrivons « émerveillement », car c’est bien l’impression qui domine sans relâche pendant toute (oui, TOUTE) la série, en tout cas cette première saison adaptée de la première partie de l’œuvre originelle. L’histoire est simple mais formidable, et parcourt sans aucune volonté démonstrative la panoplie des difficultés que rencontrent encore aujourd’hui les couples homosexuels (enfin, dans les pays évolués, on n’ose pas imaginer l’équivalent en Russie, par exemple…) : questionnement sur sa propre identité (suis-je homo ? suis-je bisexuel ? est-ce que je suis une personne différente de ce que j’étais avant ? quel va être l’impact du nouveau regard des autres sur moi ? etc.), difficulté du « coming out » vis-à-vis des amis / amies, de la famille, mais aussi du monde en général, affrontement inévitable avec les franges les plus conservatrices de la société. Là encore, aucune surprise, aucune innovation par rapport à tous les films et les livres sur le même sujet : mais de la vérité, de la lucidité, et énormément, mais énormément d’empathie et de bienveillance. Pas la succession de clichés que l’on pouvait craindre, mais de vraies gens à l’écran dont nous partageons les plaisirs, les joies et les souffrances.
Evidemment, pour que la réussite soit aussi éblouissante, il a fallu beaucoup de travail : des personnages bien écrits, des dialogues qui sonnent justes, un choix d’acteurs parfait, une direction de ces acteurs qui leur permettent de donner le meilleur d’eux-mêmes (Joe Locke et Kit Connor sont tous deux inouïs de tendresse, d’amour, de complexité, de retenue…)… Et une direction artistique toute en légèreté, qui n’a pas peur de réutiliser les codes de la BDs (les cases, les petits dessins de feuilles qui volent, de cœurs qui s’envolent aussi, d’électricité lorsque les mains se frôlent, etc.) à bon escient, toujours dans la logique d’ajouter de la beauté au film, jamais de « faire BD ». Il faut donc signaler au passage le travail formidable d’Euros Lyn à la mise en scène, ce qui n’est pas totalement une surprise de la part d’un vétéran de Doctor Who et Torchwood, mais aussi de Broadchurch et Happy Valley, entre beaucoup d’autres : la manière dont il sert le scénario d’Alice Oseman est tout simplement magique.
Mais assez de superlatifs vis-à-vis de cette série qui nous apprendra aussi au moins une chose importante, c’est de ne plus autant dire « Sorry », puisque nous n’avons pas à nous excuser vis-à-vis de personne pour ce que nous sommes, ce que nous désirons, ce que nous aimons… Terminons plutôt par un notre seule réserve vis-à-vis de Heartstopper, l’exclusion complète du sexe de l’équation amoureuse : si d’un côté, on admet que Sex Education avait déjà traité, et très bien, cet aspect, et qu’il était redondant d’y revenir, cet aspect asexué nuira quand même à la longue à la crédibilité de tout ça. Ce sera le défi à relever dans la seconde saison, qu’on attend avec impatience.
Eric Debarnot