Premier volet d’une séries de récit inédits de Louis-Ferdinand Céline « Guerre » nous emmène en 1914 au moment où Destouches était hospitalisé dans le Nord de la France. Un court roman au ton acerbe, plein de rage de violence et de sexe. Du Céline pur jus !
Roman événement de ce printemps 2022, Guerre c’est déjà toute une histoire » avant même d’avoir ouvert le livre. Ce roman inédit écrit en 1934, deux ans après la publication de Voyage au bout de la nuit, fait partie des manuscrits qui avaient été volés dans l’appartement de Louis Ferdinand Céline à Paris au moment de la libération, après que celui-ci a décidé de fuir vers le Danemark en compagnie de sa femme Lucette. Au début des années 80, un journaliste de Libération se fait remettre par un mystérieux donateur de gros sac contenant près de 5000 pages de manuscrits inédits. À l’été 2021, Jean-Pierre Thibaudat, le journaliste en question, prend contact avec les ayant-droit. Ces derniers récupèrent les manuscrits qui vont être analysés, déchiffrés, nettoyés, rendus lisibles pour être édités dans un court roman intitulé Guerre. D’autres livres suivront cet automne : Londres et La volonté du roi Krogold sont déjà annoncés pour la prochaine rentrée littéraire.
Guerre est un récit autobiographique dans lequel le maréchal des logis Destouches, grièvement blessé au bras et à la tête, se retrouve hospitalisé à Ypres puis Peurdu-sur-la-Lys. Il sera confié aux bons soins de l’infirmière Lespinasse avec qui va lui offrir bien plus que des soins. Céline raconte ainsi la vie dans cet hôpital de fortune, ses rapports avec le médecin, les autres occupants qu’il décrit et avec toujours une once d’ironie pour ne pas dire de sarcasme. Le seul qui trouve grâce à ses yeux, c’est Bébert appelé aussi Cascade, dont la femme Angèle une prostituée parisienne, va venir le rejoindre. Une femme plutôt gironde qui va faire tourner la tête des officiers anglais présents dans le coin, ce qui va quelque peu énerver Cascade.
Céline raconte encore une fois la guerre de 14, sa guerre à lui, comment il a vécu durant ce moment de convalescence avec toujours sa morgue habituelle, son humour noir, son langage grossier ou ordurier, racontant de manière très directe, sans filtre, ce qu’il vit au quotidien. Une plongée dans la tête cabossée de Ferdinand, À moitié sourd, vomissant sans cesse, entouré de bras cassés, d’hommes et de femmes déboussolées, dans un récit plein de rage, de violence et de sexe… beaucoup de sexe !
Un texte beaucoup moins sombre et beaucoup moins pessimiste que ne l’était Mort à crédit ou Voyage au bout de la nuit. Ici, on est dans un registre qui rappelle les récits picaresques d’Alphonse Boudard, avec des soldats pieds nickelés, des antihéros de guerre tentant d’échapper à leur condition de manière plus ou moins légale, tout en essayant de profiter de la vie, du mois de ce qu’il en reste.
Les amateurs d’argot, de parler cru et de récit rocambolesque vont se régaler à la lecture de ce récit dans lequel Céline se met en scène sans retenue, racontant de manière très explicite, décrivant dans les moindres détails, ses relations sexuelles avec l’infirmière. Guerre, c’est du brutal, c’est répugnant et jubilatoire à la fois, c’est de l’authentique, du vécu et sans doute aussi du fantasmé. Mais au final, on passe un très bon moment, entre l’horreur de la guerre, les scènes grivoises et les engueulades. Le style est fleuri, imagé, et chaque phrase ou presque mériterait d’être soulignée, encadrée. De la littérature comme on n’en écrit plus depuis les années 70, dans un style unique et très caractéristique que l’on a hâte de retrouver dès la prochaine rentrée littéraire.
Benoit RICHARD