Développé par Mike Scott dans une approche plus collaborative qu’à son habitude, le nouveau Waterboys ne manque ni de fougue ni d’un indéniable respect des traditions musicales : il brandit toujours bien haut la bannière du Rock’n’Roll, face à l’inconstance de l’existence.
Plus classiquement rock’n’roll que son prédécesseur, Good Luck, Seeker, qui partait dans plein de directions formelles différentes, prenant parfois des risques démesurés, All Souls Hill, le dernier album de Mike Scott a plus de chances de séduire les fans traditionnels des Waterboys. Il semble amorcer un retour vers un rock ou un folk plus traditionnel, d’ailleurs ancré dans des racines américaines. Le fait qu’il soit moins « étrange » peut également s’expliquer, peut-être par le fait qu’il est le résultat d’un travail collaboratif de Mike Scott avec divers musiciens, de périodes différentes de la carrière des Waterboys, mais aussi avec Simon Dine, le producteur mancunien qui s’est illustré aux côtés de Paul Weller…
Il faut d’abord admettre que la voix de Mike Scott est devenue presque méconnaissable avec l’âge, et son nouveau style parlé-chanté, allié à une intensité sombre, presque lugubre, évoque tantôt un Dylan plus lyrique, tantôt un Nick Cave plus mystique qu’hanté. Elle correspond parfaitement à l’évolution d’un homme de 64 ans qui revient sur l’inconstance et les aléas de l’existence : « Call it strange: we live, we die / All may change in the wink of an eye » (Tu peux dire que c’est étrange : nous vivons, nous mourons / Tout peut changer en un clin d’œil) – All Soul Hills
Ce qui ne signifie pas que Scott n’ait plus de commentaire à faire sur l’état du monde, et les sujets plus triviaux de la politique : ainsi, The Liar est un règlement de compte avec l’abjection trumpienne (« Conspiracy craziеs raved and howled / The shining Capitol gates were breached / … / Watching all this, the liar stood / Clad in his cloak of victimhood / He cursed and cried, blew and beseeched » – Les complotistes tarés ont déliré et hurlé / Le portail brillant du Capitole a été abattu / … / En regardant tout cela, le menteur s’est tenu debout / Vêtu de son manteau de victime / Il a maudit et pleuré, soufflé et supplié).
Blackberry Girl, peut-être le sommet de l’album, est très dylanien, et l’enthousiasme avec lequel il est joué et chanté, s’avère particulièrement réconfortant, et nous rappelle combien Mike Scott et ses Waterboys ont été épatants, entraînants, dans leur belle et lointaine jeunesse.
Les paroles de Hollywood Blues, même si elles ont été plus que probablement écrites à propos de la fragilité de la gloire hollywoodienne, peuvent sonner comme un aveu de la part d’un musicien porté au pinacle pendant les années 80 pour le force visionnaire de sa musique, et ayant perdu depuis à peu près tous les oripeaux de rock’n’roll star dont on l’avait revêtu : « I’ve been in this game too long to not know whеn I’m losing / Started out so fine and strong, thought by this time I’d bе cruising / I’m holding onto my sanity, man, but it’s getting hard to fake It » (Je suis dans ce jeu depuis trop longtemps pour ne pas savoir quand je suis en train de perdre / J’ai commencé si bien et fort, je pensais qu’aujourd’hui je serais tranquille / Je m’accroche à ma santé mentale, mec, mais ça devient difficile de faire semblant)
In My Dreams est un amusant « speaking words » qui célèbre tout un pan de notre mythologie (commune) rock’n’roll : Iggy Pop y croise Amy Winehouse, et c’est touchant. On pense d’ailleurs un peu aux chroniques qu’Elliott Murphy publie en ce moment sur les réseaux sociaux où il décrit ses aventures Rock avec ses pairs, ses idoles, vécues pendant ses rêves ! Après tout, quand la nostalgie d’une époque plus glorieuse pour le Rock est évoquée avec cette tendresse et cet humour, il n’y a rien à redire !
Once We’re Brothers est une réécriture très émouvante, autorisée par Robbie Robertson, qui y participe d’ailleurs, de l’une de ses chansons « classique ». Et l’album se referme sur une version de quasi 10 minutes de Passing Through, un classique country des années 40, que Mike Scott s’approprie complètement avec des paroles plus politiques, et avec l’aide d’un chœur gospel qui élève la chanson vers un lyrisme plus en ligne avec le « style Waterboys ».
Le résultat est un album agréable, trouvant un juste équilibre entre d’un côté une réflexion sur le temps qui passe, l’âge qui vient, les souvenirs d’une vie qui semble parfois meilleure, et de l’autre la nécessité de ne pas baisser la garde, et de continuer à brandir la bannière des idéaux du Rock, fut-il désormais « classique ».
Eric Debarnot