Après neuf trop longues années d’absence, le canadien d’origine iranienne Barzin Hosseini revient avec son quatrième album, le doucereux Voyeurs In The Dark ou comment le compositeur nous prouve toute la pertinence d’une métamorphose qui ne dit jamais totalement son nom. Son univers semble comme transfiguré et en même temps identique aux autres albums de cet éternel mélancolique. Une espèce de transgression de l’immobilité ou de dialogue du non-dit. Un objet superbe et intense.
Il y a des artistes dont on attend tout et d’autres rien ou si peu. Et puis, il y a ceux que l’on oublie à force de trop d’absence, de trop de distance, de trop de silence. Pourtant, quand leurs contours sonores se redessinent dans l’angle d’une nouvelle chanson, l’attrait ressenti pour leurs complaintes réapparaît comme au premier jour, absolument intact, immaculé comme notre innocence naïve. Certes, parfois, nous rejetons certains d’entre eux car ils appartiennent à une partie de notre histoire, si douloureuse, si associée avec notre douleur que l’on préfère les oublier. Parfois, on s’en éloigne car tout à coup l’empathie qui nous faisait entrer en communion avec leur musique s’est estompée. Ce n’est ni vraiment leur faute ni seulement la nôtre. C’est un peu qui avons changé, eux qui ont trop vite vieilli. On ne se reconnaît plus dans l’adolescent qui s’abritait dans l’influence du musicien perçu et compris comme un grand frère.
Avec Barzin Hosseini alias plus simplement Barzin, nous n’avons jamais été dans un rapport fraternel, dans le sens du grand frère qui nous guide et nous montre le chemin. Non, avec le trop méconnu Barzin, nous étions finalement plus dans un véritable rapport de dialogue, dans une communication étroite avec un individu en pleine construction de son identité créative et humaine, dans l’accompagnement d’un cheminement, de ce qui ressemble tout bêtement à la vie. Barzin Hosseini, c’est le boy next door, l’ami fidèle que l’on perd souvent de vue mais qui sait être toujours là dans les moments essentiels, pas forcément les plus tristes mais ceux qui font sens, qui font date.
La musique de Barzin a longtemps eu à voir avec les amours déçus, avec les peines de cœur et les affres de l’âme mais comme nous, Barzin a grandi et vieilli, sa musique s’est arrondie et a gagné en chair et en substance. Elle contient ce je ne sais quoi de mystère supplémentaire, ce petit plus d’analyse de soi et ce recul nécessaire pour mieux parvenir à se saisir. On n’est pas surpris d’apprendre l’intérêt nouveau du canadien pour la psychanalyse, lui qui l’étudie depuis quelques années. Sur ce disque, Voyeurs In The Dark, on le voit travailler la matière humaine, on le voit fouiller dans la multitude de ses identités, se perdre dans le dédale de sa pensée. C’est peut-être là la source de cette abstraction nouvelle au sein de ses chansons qui ne sont plus simplement des mélodies arrache-cœur folk. Sculptant à l’envie la désuétude dans ses lignes mélodiques, Barzin signe un disque de contrastes, lumineux et brumeux, limpide et tortueux, radieux et tourmenté. Voyeurs In The Dark pourrait ressembler à une rencontre entre le Bohren And Der Club Of Gore de Piano Nights et le Hot Dreams de Timber Timbre.
Tout au long du disque, les climats sont nocturnes mais n’imaginez pas pour autant que Barzin soit clinophile. Loin de là, avec Barzin, Vivre la nuit ressemble à des nuits de déambulation dans les grandes villes à observer la vie au ralenti, la vie qui bruisse dans le silence, la vie qui ne dit rien mais ne parvient pas à cacher quoique ce soit. Les ambiances sont ouatées comme anesthésiées, on perçoit bien ici et là quelque chose qui ressemble à une blessure mais elle ne saigne même plus, elle irrite le bord de la chair, elle ne pèse même pas vingt et un grammes.
L’image de ces nuits est universelle, elle est transfigurée. Autrefois, elles avaient pour cousines celles de Josh Haden le temps de The Blue Moods Of Spain, aujourd’hui, elles sont plus proches de celles de Nick Talbot de Gravenhurst. Barzin Hosseini comme le regretté Nick Talbot joue sur une forme de dissonance toujours en arrière-plan mais qui ne cesse de résonner en nous. Sur It’s Never Too Late To Lose Your Life, Barzin va jusqu’à colorer sa musique de teintes jazz avec l’apport d’un saxophone bienvenu. Le disque prend en de nombreux moments des contours tropicalistes, pas si éloignés de la scène brésilienne, des joyaux de Lucas Santtana, de ceux de Rodrigo Amarante. Barzin chante l’ennui et la monotonie qui nous consume. Ces disques ont parfois pu paraître linéaires par le passé mais c’est justement parce qu’ils travaillaient cette matière-même de l’ennui et de la monotonie. Cela peut paraître étrange mais les disques de Barzin ont toujours été des prises de risque. Il cite dans ses chansons aussi bien la perception du voyeurisme à la manière de Krzysztof Kieślowski dans Voyeurs In The Dark, un voyeurisme dénué d’érotisme et de sexualité, il cite encore Roman Polanski dans Knife In The Water mais toutes ces petites pistes ne sont rien d’autres que des chausse-trappes, des pièges pour mieux nous laisser croire que nous savons dans quel territoire nous progressons.
Barzin poursuit une carrière un peu à part des modes et des courants. On n’attend jamais vraiment rien de lui, c’est sans doute pour cela que l’on obtient autant à chaque fois. Les récoltes sont toujours fécondes avec lui, il cultive un jardin constituées d’ancolies et de racines profondes. Au début, tout semble paisible, presqu’inoffensif, peut-être même anecdotique mais lentement le charme opère. Barzin n’écrit pas pour l’immédiateté ou la frénésie, il n’écrit pas pour cette instantanéité d’un jugement définitif. Son temps est tout autre, il n’est pas consommateur mais créateur. Il impose son temps comme seules les œuvres essentielles savent le faire.
Greg Bod