Les auteurs réhabilitent la première icône du cinéma français, stupéfiante vamp tout de noir vêtue. Musidora connut un succès fulgurant et fut érigée en sex-symbol par les poilus alors confrontés à l’enfer des tranchées.
C’est la première fois que le neuvième art rend hommage à cette actrice emblématique de la Belle Époque. Véritable incarnation de la « vamp », Musidora connut un grand succès grâce à son rôle d’Irma Vep dans Les Vampires, un film en dix feuilletons (disponibles sur la fiche wikipedia) qui charma et divertit le public en cette période sombre que fut la Première Guerre mondiale.
L’heure est décidément aux hommages des figures féminines oubliées… Si Jeanne Roques, alias Musidora, a bel et bien connu son heure de gloire à l’apogée du cinéma muet, elle fut d’abord danseuse de cabaret et comédienne de théâtre. C’est Louis Feuillade, plus connu pour ses Fantômas, qui lui offrit le rôle de sa vie dans la série cinématographique Les Vampires. Mais Musidora ne fut pas seulement la beauté fatale aux beaux yeux noirs qui fascinait le public. Elle fréquentait les milieux artistiques et littéraires de l’époque, eut une amitié avec Colette et devint l’égérie des Surréalistes. Femme libre et volontaire, elle passa même de l’autre côté de la caméra pour tourner quelques films, qui n’eurent malheureusement pas le succès escompté. A noter que Les Vampires fit l’objet dans les années 90 d’un remake intitulé simplement Irma Vep, réalisé par Olivier Assayas avec dans le rôle de la vamp Maggie Cheung.
C’est donc une grande dame qu’honorent ici Arnaud Delalande et Nicolas Puzenat. A la lecture de cet album, on se rend compte que Musidora eut une vie riche et totalement dévolue à son art, dans une époque pas forcément propice à cause de la guerre, mais cela n’empêcha pas la jeune femme de se faire un nom. La lecture est plaisante même si l’ensemble est quelque peu académique et ne se distingue pas vraiment des productions de ce genre. On regrettera notamment que le personnage de Jeanne Roques apparaisse un brin superficiel. On aurait aimé qu’il soit davantage développé, notamment dans ses activités extra-cinématographiques et son rapport aux Surréalistes, qui sont singulièrement absents du récit.
Ce biopic néanmoins sympathique nous donne l’occasion de nous immerger dans le Paris de l’époque, grâce au dessin précis et efficace de Puzenat (dont on attend avec impatience la suite du remarqué Mégafauna) qui évoque par moments certaines peintures de Renoir ou de Manet. L’auteur s’appuie sur une documentation variée, avec quelques scènes saisissantes d’un Paris bombardé par les zeppelins allemands, un épisode finalement assez méconnu de cette guerre.
Cette femme fatale vêtue d’un costume noir moulant, enjambant avec grâce les toits parisiens sous la lune, est une image forte qui a conservé une certaine modernité. Musidora pourrait sans doute se prévaloir d’être l’ancêtre des super-héroïnes féminines d’aujourd’hui (on pense beaucoup à Catwoman ou Batwoman). On peut imaginer que c’est en partie pour cela que les auteurs ont décidé de la réhabiliter. Reste à savoir s’il y aura une suite, ce que la conclusion laisse plus ou moins présager…
Laurent Proudhon