Que peut-on encore attendre des Black Keys en 2022 ? Avec Dropout Boogie, la réponse est claire… et sans doute définitive : pas grand-chose, hormis un éternel ressassement du même par un groupe qui vit désormais sur ses acquis.
Si les critiques de Pitchfork nous font régulièrement bien rire, il faut reconnaître que, de temps en temps, elles font mouche : ainsi, nous offrir une comparaison entre la situation des Black Keys en 2022 et celle des Rolling Stones au début des années 80 fait vraiment sens. Ecouter Dropout Boogie, c’est exactement comme écouter un des albums des Stones postérieurs à Goat’s Head Soup… C’est écouter un groupe qui n’a plus rien à offrir, et vit désormais sur une sorte de rente qui leur permettra de boucler leurs fins de mois sans problèmes… Et ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle.
Dès la première chanson, efficace et clairement surproduite et sur-orchestrée, avec ce son de guitare vraiment (trop) déformé, Wild Child, il est clair qu’on est avec Dropout Boogie en plein milieu d’un territoire bien balisé par Auerbach et Carney depuis le succès planétaire de El Camino, et que rien ne va plus changer dans la formule bien établie qui a amené les Black Keys à la gloire et la fortune. Et le fait que leurs trois albums précédents n’aient pas été des réussites artistiques notables ne changera visiblement plus rien à l’affaire.
Se pose alors au chroniqueur la question la plus délicate : que va-t-il bien pouvoir dire d’un album, ni bon ni mauvais comme ce Dropout Boogie, puisque chacun y trouvera exactement ce qu’il cherche, sans surprise ? Et donc sans frustration ni ravissement particuliers. Exactement comme les fans des Stones ont continué pendant des décennies à se contenter de chaque nouvel album sans grand intérêt des Glimmer Twins, sans s’en réjouir ni s’en plaindre.
On évitera de parles des nombreuses collaborations qui ont permis à cet album d’exister – avec des musiciens qui nous intéressent un peu comme Billy F Gibbons, qui intervient de manière pertinente avec sa guitare incendiaire sur Good Love, et d’autres beaucoup moins, comme le producteur – compositeur Angelo Petraglia (qui ?)… Parce que, de toute manière, ça n’affecte en rien le « produit final ». On ne pourra guère non plus se rabattre sur les paroles des chansons, vu que, au long de toute leur carrière, les Black Keys n’ont probablement jamais écrit un texte de chanson qui présente réellement de l’intérêt, qui sorte des clichés bien usés du Rock ou du Blues. De « You are a sweet dream / With a tender heart and a beautiful smile / But things aren’t what they seem » (Tu es un doux rêve / Avec un cœur tendre et un beau sourire / Mais les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être) sur Wild Child (en ouverture de l’album) , à « You may not be believe me, baby / ‘Cause I didn’t always treat you right / Might have deceived you, lady / Maybe I stayed out late at night / But didn’t I love you? » (Tu ne me crois peut-être pas, bébé / Parce que je ne t’ai pas toujours bien traitée / Peut-être que je t’ai trompée, madame / Peut-être que je suis resté dehors tard le soir / Mais ne t’ai-je pas aimé ?) sur la conclusion de Didn’t I Love You, on parcourt assez rapidement le territoire de thématiques que l’on pourrait qualifier de dépassées, voire même de symptomatiques d’une masculinité toxique qui n’a plus sa place en 2022.
Et ce n’est pas la chanson de supporters de foot (américain) qui frôle l’idiotie, Your Team Is Looking Good, qui va attiser beaucoup notre sympathie : « Your team is lookin’ good, but not as good as ours / Ashes to ashes, dust to dust / You beat everybody, but you won’t beat us » (Votre équipe a l’air bien, mais pas aussi bien que la nôtre / Les cendres retournent aux cendres, la poussière à la poussière / Vous battez tout le monde, mais vous ne nous battrez pas) : c’est à peu près à ce moment-là qu’on décide d’oublier qu’on comprend l’anglais et de se concentrer sur les riffs de guitare !
Cette chronique peut sembler pleine de méchanceté vis-à-vis d’un duo que de toute manière les critiques n’atteignent plus depuis longtemps, mais elle traduit une déception : il y a 20 ans, quand leur premier album est sorti, Auerbach et Carney paraissaient des puristes incorruptibles et j’menfoutistes : en 2022, ils en sont réduits à surjouer sur leur pochette bien léchée l’Amérique prolétaire que leur musique prétend représenter. Ils nous montrent que le modèle « stonien » des stars dont le talent a été épuisé par le succès et la facilité reste toujours pertinent.
Alors disons que ce sera le dernier album des Black Keys que nous écouterons et n’en parlons plus.
Eric Debarnot