On n’est jamais à l’abri de bonnes surprises, même dans le monde sinistrement formaté de Disney / Marvel : s’éloignant un peu des codes des films de super-héros, traitant de sujets plus audacieux et porté par une interprétation superlative, Moon Knight en est une !
Nous n’aurions jamais pensé dire un jour franchement du bien, sans aucune arrière-pensée, d’une production Marvel, mais il faut bien reconnaître que, en dépit de quelques défauts occasionnels, sur lesquels nous reviendront, Moon Knight est, et de loin ce que Disney / Marvel ont fait de mieux à date, tous formats – films et séries TV – confondus.
Moon Knight raconte l’histoire ébouriffante de Steven, passionné d’archéologie et d’Egypte ancienne, qui en est réduit à vendre des jouets dans la boutique d’un musée, tourmenté et humilié par son horrible patronne. Pire, ses nuits sont des cauchemars, puisqu’il est somnambule et doit s’attacher à son lit pour gérer ce problème… ce qui n’empêche pas son existence de prendre un virage improbable et désastreux quand il rencontre enfin son alter ego : il comprend qu’il s’agit de celui qui s’empare de son corps à son insu afin de mener un combat contre une secte religieuse bien décidée à ressusciter une divinité égyptienne aux ambitions justicières largement fascisantes !
Un drôle de sujet, qui donne l’occasion au showrunner Jeremy Slater de nous offrir une drôle de série TV en 6 épisodes qui ne ressemble pas à grand-chose de connu, et encore moins chez Disney / Marvel. On commence par un premier épisode absolument délicieux de loufoquerie, qui permet au brillant Oscar Isaac de s’imposer pour la premier fois dans un rôle franchement comique, avant d’aller dans une direction très « à la Indiana Jones » (le meilleur, celui des Aventuriers de l’Arche Perdue), mais avec une différence de détail : le metteur en scène est le jeune auteur égyptien Mohamed Diab (remarqué pour son les Femmes du bus 678) ! Et il a visiblement essayé de rendre crédible toute la partie égyptienne du film, et qui porte l’histoire à bout de bras, même lorsque le scénario accuse d’occasionnels coups de mou, grâce à un excellent rythme et une vraie intelligence des plans, qui sort des tics habituels du cinéma d’entertainment hollywoodien.
Mais, mieux encore que le plaisir de se plonger dans la mythologie égyptienne, avec des dieux au look très réussi (grâce à des effets numériques plutôt corrects), le point fort de Moon Knight est son thème central du dédoublement de personnalité – qui permet d’ailleurs à Oscar Isaac d’exceller doublement, passant pour notre plus grand plaisir de Steven, le frêle intellectuel anglais attachant à Marc, le mercenaire US implacable : au lieu de simplement reprendre le thème, habituel dans l’univers des super héros, de l’homme ordinaire changeant de personnalité pour devenir un justicier, Moon Knight aborde franchement l’aspect clinique de ce dédoublement, et fait de Moon Knight une grande série sur la schizophrénie… et même la psychanalyse ! Le cinquième épisode est impressionnant, plein de subtilité et d’intelligence, et dévoile de manière originale les origines de la psychose ayant créé le double Marc-Steven : il ne faut pas en dire plus, tant Moon Knight joue formidablement bien sur la perte des repères du téléspectateurs, accompagnant le héros dans son introspection, et son retour sur son passé, comme sur le divan d’un psychanalyste (on notera quand même que c’est le « méchant » sociopathe, délicieusement incarné par un Ethan Hawke froid et répugnant, à qui incombe le rôle du psychiatre… !).
Après une telle virtuosité narrative, le dernier épisode reste plus convenu, sacrifiant pour la première fois aux codes habituels des combats de super-héros à la Marvel, mais trouvant une belle sortie à l’occasion de la question posée par un enfant à Layla, l’héroïne féminine de Moon Knight : « alors tu es une super-héroïne égyptienne ? ».
Pour la petite histoire, on notera que le combat tutélaire entre le dieu Konshu (de droite car avocat acharné de la peine de mort pour les criminels) et la déesse Ammit (franchement d’extrême droite car prônant l’extermination préalable de tous ceux susceptibles d’être un jour des criminels) ne nous laisse initialement que peu d’espoirs… jusqu’à ce que dans une conclusion réjouissante, Moon Knight ne choisisse pas entre ces deux options, mais préfère accorder à ses ennemis une grâce généreuse : serait-ce à dire que Moon Knight est une fiction de gauche ? Nous n’irons pas jusque-là, mais nous apprécierons en tout cas la résolution bienveillante d’un dilemme impossible.
Bien entendu, Moon Knight souffre occasionnellement de défauts chroniques des séries actuelles : des passages plus faibles à mi-parcours, quelques dialogues explicatifs dont on se serait bien passés… mais c’est bien peu de choses devant l’intelligence et la fantaisie déployée durant ces 6 épisodes.
Eric Debarnot