En haute montagne, personne ne vous entendra crier… surtout quand une avalanche vous emporte. L’avalanche, c’est un peu la métaphore d’Abîmes, un polar inarrêtable qui emporte tout dans son passage, mais qui peut aussi refroidir par ses excès.
Un petit avion de tourisme s’écrase dans la haute montagne des Pyrénées : le couple à bord s’est suicidé pour échapper à la justice… ou pire. Le crash provoque une avalanche qui emporte un groupe d’enfants en randonnée. Tous appartiennent à un village en contrebas, et la vie des habitants bascule. 20 ans plus tard, alors que le fils du couple suicidaire revient au village comme gendarme, de menaçants bonhommes de neige font leur apparition. Et à partir de là, tout va partir en vrille, ou plutôt en dérapage incontrôlé sur la neige et la glace des Hautes Pyrénées…
Car, à chaque chapitre, ou presque, et ils sont courts et nombreux, Sonja Delzongle nous offre une mort violente : meurtres, règlements de compte, accidents, la durée de vie des très nombreux personnages de Abîmes n’excède parfois guère les quelques pages : à peine avons-nous eu le temps de faire leur connaissance, d’être intrigués, que les voilà passés l’arme à gauche. L’effet est assez saisissant, le sentiment de violence et de danger est omniprésent, et le lecteur tourne les pages à toute vitesse, ce qui est bien ce qu’on demande à un bon thriller, non ?
A la fin, après moult péripéties haletantes, une multitude de twists et de révélations sur les identités des uns et des autres, après que nos soupçons se sont portés tour à tour sur une dizaine de personnages au comportement suspect, les coupables sont révélés, bien sûr. On ne peut dire qu’il s’agisse d’une surprise, dans la mesure où nous les connaissons très peu (tous les protagonistes que nous avons un peu connus sont morts !), mais il faut reconnaître que, du point de vue logique et cohérence, l’histoire hyper-compliquée montée par Sonja Delzongle tient la route… Au point qu’on a presque envie de relire immédiatement Abîmes pour vérifier si on a bien compris toute l’architecture du drame.
Abîmes est donc un thriller comme le lecteur actuel en attend, et il est difficile de lui reprocher un quelconque manque d’efficacité. Mieux encore, la description de la montagne, de la neige, des avalanches, des multiples périls qui attendent dans cet univers rude le voyageur imprudent et inexpérimenté est saisissante. Et constitue sans doute le meilleur du talent d’une romancière qui sait créer un environnement fort, et transporter son lecteur en dehors de son quotidien.
Ce qui ne veut pas dire, malheureusement, que Abîmes ne pose pas quelques problèmes : d’abord, la vision que Delzongle a des habitants des lieux est tellement radicale qu’elle en deviendrait presque offensante : voilà un beau ramassis d’êtres incultes, brutaux, vivant quasiment dans la sauvagerie, superstitieux, accrochés aux traditions ancestrales sans évolution possible, et surtout pédophiles, violeurs, prompts à s’entretuer à la moindre occasion. On sait la liberté que l’écrivain a le droit de prendre avec la réalité pour que fonctionne sa fiction, mais on se dit aussi que trop, c’est quand même trop.
Cette tendance à l’excès – de violence, de personnages, de péripéties – est d’ailleurs la caractéristique la plus frappante chez Delzongle : Abîmes nous emporte, nous balaie comme le ferait une avalanche. Et il faut bien dire que cette avalanche-là nous a aussi refroidis. Glacés même.
Eric Debarnot