Très attendu après leur excellent dernier album, le duo de Mattiel nous a donné un simple avant-goût de ce qu’est le « Georgia Gothic ». On espère les revoir vite dans une configuration plus musclée, plus à même de restituer l’énergie des chansons.
La soirée avait bien commencé sur la Terrasse de la Maroquinerie à partager des bières entre amis alors qu’on approchait les 30 degrés en ce mois de mai déréglé, et on aurait dû s’attendre à ce que peu de gens aient envie d’assister à un concert par le temps qu’il faisait. Du coup, il y a eu un long moment de quasi angoisse dans une Maro presque vide, ce qui aurait été affreux pour les artistes, et très injuste pour un duo aussi talentueux que Mattiel, qui viennent en plus de publier un album superbe, Georgia Gothic. Heureusement, et même si la première partie s’est déroulée devant un public encore très épars, quelques minutes avant l’heure annoncée du début du set de Mattiel, les spectateurs ont déboulé en masse (ou presque…).
A 20 h, la Canadienne Le Ren – à la ville Lauren Spear – est une musicienne folk dans le sens le plus « primitif », le plus sixties du terme : c’est bien simple, et c’est d’ailleurs un sacré compliment, on pense à Joan Baez en écoutant sa très belle voix. Ses chansons, interprétées très sobrement à la guitare acoustique, évoluent toutes dans un registre éminemment calme et mélancolique. Ça pourrait, ça devrait même être ennuyeux, mais ça fonctionne au contraire très bien… au moins pendant la demi-heure impartie. Malgré le peu de spectateurs, la jeune femme longiligne est bavarde et chaleureuse, s’excusant pour son manque de français alors qu’elle vient de Montréal, et nous répétant – avec de vrais accents de sincérité – combien elle a été impressionnée par Paris, surtout parce que tout le monde est « bien habillé, élégant ». Bon, on ne commentera pas… mais en tous cas, on passe une demi-heure qui frise par instants l’enchantement.
Il est 21 heures, et Mattiel et Jonah s’installent sur une scène éclairée uniquement de rouge (et qui le restera à peu près toute la soirée), devant un écran sur lequel seront projetées des vidéos décalées mais fascinantes, qui vont clairement ajouter une atmosphère intéressante aux chansons. Car il n’y a cette fois aucun autre musicien pour soutenir le duo, qui s’appuie sur une rythmique préenregistrée pour interpréter une vingtaine de chansons extraites principalement de leurs deux derniers albums : lui est à la guitare – la plupart du temps très distordue – et elle est au chant, comme toujours très assuré, presque vindicatif (nous revient à l’esprit la comparaison avec Patti Smith, faite par un ami, qui n’est pas si absurde que ça…).
On attaque par la fantastique chanson Jeff Goldblum – un Goldblum que l’on voit évoluer en parallèle à l’écran, principalement dans le cheesy Earth Girls Are Easy avec Geena Davis – et on se rend compte immédiatement que le format de la soirée va priver les chansons d’une partie de leur richesse : réduites à un format folk-rock électrique, parfois assez forcené dans son interprétation, elles s’avèrent assez loin de l’ambiance « gothique » et parodique du dernier album. De plus, le son n’est pas excellent, avec, suivant la place qu’on occupe dans la salle, des difficultés à entendre soit la voix de Mattiel, soit la guitare de Jonah… Ce qui est un peu difficile à comprendre quand il n’y a que de deux personnes sur scène…
Du coup, on a un peu de mal à pénétrer dans le set, et ce d’autant que les chansons sont presque toutes réduites à leur simple partie chantée – soutenue par la guitare -, sans bénéficier de l’ampleur d’une interprétation plus riche. Et qu’elles sont également enchaînées à un rythme infernal qui ne nous laisse guère le temps de respirer. Mais, heureusement, les choses se mettent en place après 5 ou 6 morceaux, l’intensité monte clairement d’un cran : You Can Have It All (très pattismithien, pour le coup…), How It Ends (sommet de la soirée pour nous) et Blood in the Yolk (littéralement majestueux) font un effet terrible, et le public suit avec enthousiasme. Il n’y a pas de doute, Mattiel a une voix superbe, et ses chansons sont toutes très bonnes : c’est juste qu’elles méritent l’énergie, la complexité d’un groupe pour être écoutées à leur juste valeur.
Et puis, il faut bien reconnaître que Mattiel n’est pas la plus communicative des artistes, que ses efforts – souvent visibles – pour interagir avec son public sonnent régulièrement faux. Elle laisse donc au bien plus chaleureux Jonah le job de dire des gentillesses au public ! Jonah nous explique donc qu’il aime particulièrement la France, sa femme, présente ce soir dans la salle, étant française…
Au bout d’un peu plus d’une heure, on passe au rappel, qui sera plus classiquement acoustique, avec le country On the Run, et l’entraînant Keep the Change, et fonctionnera finalement très bien.
Il est difficile de se plaindre d’un set qui aura eu plusieurs beaux moments, et qui aura confirmé le talent de Mattiel et de Jonah. Reste que l’on attend désormais beaucoup plus, beaucoup mieux de ces deux-là : on était heureux de les voir à Paris après l’interruption de la pandémie, et on espère surtout les revoir bien vite, en pleine puissance.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
[Live Report] Mattiel à la Maroquinerie : les terres du Rock américain