Si la discographie de Kevin Morby est déjà bien remplie de très beaux albums, il est bien possible que This Is a Photograph soit le chef d’œuvre que son talent nous promettait depuis le début. Laissez vous capturer par la merveilleuse tristesse de ce voyage aux sources de la mémoire et de son Art !
« This is a photograph, a window to the past / Of your father on the front lawn, with no shirt on / Ready to take the world on, beneath the West Texas sun… » (Ceci est une photographie, une fenêtre sur le passé / De ton père sur la pelouse, sans chemise / Prêt à affronter le monde, sous le soleil de l’ouest du Texas…)… car bien sûr, même si nous étions prêts à affronter le moden, certains d’être vainqueurs, nos rêves ont été réduits à rien, et nos vies à pas grand-chose…
Plus loin, sur Bittersweet, TN, cette fois en duo avec Erin Rae, Kevin Morby revient à la charge : « Goddamn you got old you got upset you got sick / The living took forever but the dying went quick / And oh just to think you were a little kid, wondering what you’d be when you got big / And there was no time, suddenly » (Putain tu as vieilli, tu as déprimé, tu es tombé malade / La vie a pris une éternité mais la mort, elle, est allée vite / Et oh juste de penser que tu étais un petit enfant, te demandant ce que tu serais quand tu serais grand / Et, tout à coup, il n’y avait plus le temps).
… Car le thème du septième album de Kevin Morby, déjà accueilli un peu partout comme son meilleur, comme une sorte d’accomplissement de son art, est le temps qui passe, le temps qui use, qui dévore… mais l’album est aussi un chant à l’Amérique – et au Sud particulièrement -, comme patrie tout comme malédiction. Pour finalement définir de manière intime les rapports entre sa musique et ses souvenirs familiaux, son admiration pour d’autres artistes, et l’Amérique …
This Is a Photograph, l’introduction, est d’une munificence absolue : à partir d’une ambiance folk traditionnelle, Morby s’élève sans effort vers les cieux et touche en 3 minutes trente au sublime. On ne peut guère s’empêcher, devant ce lyrisme, cette force émotionnelle primitive lors d’un final extraordinaire, de se dire que c’est exactement ce que Win Butler savait faire aux débuts d’Arcade Fire et qu’il a perdu depuis. Si tout l’album n’est pas aussi accompli, il ne baissera jamais réellement en termes émotionnels, et montre, en particulier dans ses moments de simplicité, de dépouillement, une vérité humaine qui touche à la sagesse éternelle d’un Leonard Cohen vieillissant (mais Morby n’a, lui, que 34 ans)…
https://youtu.be/hmxrnAouciM
L’une des nombreuses références artistiques apparaissant sur This Is a Photograph est Jeff Buckley, à qui Kevin rend hommage sur Disappearing : « If you go down to Memphis, please don’t go swimming in the Mississippi River / If you must, if you do / Take off your jacket, and take off your boots / Just don’t wash up on Beale » (Si tu descends à Memphis, s’il te plaît, ne va pas nager dans le Mississippi / Si tu dois, si tu le fais / Enlève bien ta veste et enlève tes bottes / Ne viens pas t’échouer, mort, à Beale).
Mieux encore, il s’adresse directement à lui, qu’il prend ici comme modèle ? guide spirituel ? sur le morceau central de l’album, A Coat of Butterfly et ses sept minutes hantées : « And hey man have you heard Buckley singing Hallelujah? / He did what Leonard never could to it, gave it wings then away it was / Number two in England, and they say you’re your daddy’s son / But Jeff if you’re anything like me you only care about America / Where you’re always in someone’s wake / Or you’re singing while you’re sinking in sand » (Et hé mec, as-tu entendu Buckley chanter Hallelujah? / Il a fait ce que Leonard n’a jamais pu, lui a donné des ailes pour qu’il s’envole / Numéro deux en Angleterre, et ils lui ont dit : « tu es le fils de ton père » / Mais Jeff, si tu es comme moi, tu ne te soucies que de l’Amérique / Où tu es toujours dans le sillage de quelqu’un / Ou tu chantes pendant que tu t’enfonces dans le sable).
https://www.youtube.com/watch?v=xRd4OjaDE4k
L’un des reproches que feront peut-être ceux qui restent envers et contre tout insensibles au talent de Kevin Morby est que ce nouvel album est quasi uniformément très calme et mélancolique : de fait, Rock Bottom est le seul morceau réellement rock’n’roll de la part d’un artiste dont on sait que, sur scène, il est capable d’enflammer une salle… mais son texte sur une vie d’échecs, une vie « au fond du puits » est l’un des plus noirs de l’album…
La conclusion, Goodbye to Goodtimes, bouleverse, mais explicite aussi clairement que possible l’essence de l’art de Morby : s’ouvrant une fois encore sur ses souvenirs familiaux, il se transforme en un hommage à tous les artistes qu’il vénère, morts ou vivants. Et contient une simple phrase qui résume peut-être encore mieux que toit ce qui a précédé ce la démarche qui a sous-tendu This Is a Photograph : « When I was a little boy, I wanted to live and breath inside a song / Well how about this one ? » (Quand j’étais un petit garçon, je voulais vivre et respirer à l’intérieur d’une chanson / Eh bien, que diriez-vous de celle-ci ? Quand j’étais un petit garçon, je voulais vivre et respirer à l’intérieur d’une chanson / Eh bien, que diriez-vous de celle-ci ?)…
Eric Debarnot