Le passé criminel de l’Australie semble passionner (obséder ?) Justin Kurzel. Après Les crimes de Snowtown et Le gang Kelly, il revient sur la tuerie de Port-Arthur en Tasmanie dans un film sobre et puissant.
Le passé criminel de l’Australie, son pays, semble encore et constamment tarauder (passionner ? Obséder ?) Justin Kurzel («Depuis mon premier film, je me suis intéressé aux raisons pour lesquelles ces jeunes hommes cherchent des réponses dans une violence si extrême»). Après Les crimes de Snowtown (sur John Justin Bunting, tueur en série) et Le gang Kelly (sur Ned Kelly, bandit et hors-la-loi), voici Nitram qui, lui, revient sur la tuerie de Port-Arthur en Tasmanie, en avril 1996, perpétrée par Martin Bryant. Tuerie qui compte parmi les plus meurtrières de l’histoire australienne (35 personnes tuées et 23 blessées) et qui entraînera d’importantes modifications dans la législation sur le contrôle des armes à feu. Et dont le traumatisme, des années après, est encore présent. Si vivace que l’annonce du projet d’un film autour de celle-ci a été accueillie avec inquiétude et malaise, avec colère aussi.
Mais d’elle on ne verra rien : Kurzel et son scénariste Shaun Grant l’oblitèrent pour montrer l’avant, les semaines avant et le juste avant, ces deux-trois secondes qui précèdent l’horreur. Montrer, sans empathie ni sans chercher d’excuses, et tenter de comprendre ce qui a poussé un homme à commettre un tel crime. De cerner les événements, les éléments déclencheurs, les quelques signes. Les défaillances d’un tout qui paraissent emprisonner, contraindre, et finalement conforter, Bryant dans ses tourments intérieurs, qu’elles soient sociales (son comportement étrange, en décalage tout le temps, en faisait une sorte de paria, un weirdo que l’on rejetait ou dont on se moquait), familiales (un père pataud, une mère qui ne sait pas comment l’aimer, à la fois tranchante et touchante) ou même juridiques (pouvoir acheter des armes sans que l’on vous demande grand-chose, sans que l’on tique un minimum).
On pourra mettre les mots que l’on veut sur les causes de sa dérive meurtrière, ça ne changera rien, et ça n’expliquera rien, ou pas complètement. On pourra dire frustrations, ou dire vexations, ou solitude, dépression, schizophrénie… On pourra dire ces mots qui n’ont aucune valeur, presque aucun sens face à ce qui relève de l’impensable. On pourra également, légitimement, reprocher à Kurzel et à Grant d’avoir un peu trop romancé leur vision de Bryant (en particulier sa relation avec Helen Harvey, riche héritière tout aussi perdue que lui) pour en faire, parfois, une espèce de marginal céleste rattrapé par ses démons. Caleb Landry Jones, révélé chez le fils Cronenberg (Antiviral), livre ici une prestation remarquable dans la peau, ou plutôt dans la tête, de cet homme dont l’Australie veut oublier le nom.
Michaël Pigé