Stéphane Blanco et Marc Curto Turon nous offrent la suite, tragique et méconnue, des aventures du jeune Marlon Brando dans le Pacifique, précipitez-vous !
En 1814, deux vaisseaux britanniques à court d’eau potable se déroutent vers Pitcairn, une île présumée déserte. Ils ont la surprise d’y être accueillis par des femmes et des enfants mélanésiens anglophones. Les hommes ont disparu. Stéphane Blanco est malin, son scénario musarde avant de nous dévoiler les secrets de l’île. Un officier enquête et découvre qu’ils ont, involontairement, débusqué les derniers mutins de la Bounty.
Le célèbre Mutiny on the Bounty (1962) de Lewis Milestone a magnifié leur histoire. Le jeune et très beau Marlon Brando incarnait un magnifique Christian Fletcher luttant contre l’odieux autoritarisme du capitaine William Bligh (Howard Trevor). Brando prenait le contrôle du navire, épargnait le tyran, puis embarquait de très jolies tahitiennes afin de fonder un havre de paix sur Pitcairn.
La réalité est plus contrastée. Bligh n’était pas plus cruel que ses camarades. Au contraire, considéré comme un excellent marin, il sera absout et finira Vice Admiral of the Blue. Il semble que ses hommes aient mal supporté les six mois d’escale à Tahiti, où l’accueil de la population se révéla plus qu’amical, tandis que la discipline se relâchait.
La bande dessinée débute là où le film s’achève. Fletcher débarque avec huit mutins, six Tahitiens et onze Tahitiennes. Les hommes se répartissent les terres et les femmes. Les tensions ne tardent pas à apparaître… L’histoire est cruelle, véridique et parfaite pour incarner la citation du sombre Thomas Hobbes : « L’homme est un loup pour l’homme. » Souvent, mais pas toujours.
Le dessin semi réaliste, lumineux et aquarellé de Marc Curto Turon est très agréable. L’expressivité et la dureté de ses visages rappellent le meilleur François Boucq. Les scènes marines sont rares, il s’appesantit sur la vie des fugitifs. Il accentue les contrastes entre la douceur et le courage des femmes et la folie des hommes, puis entre la liberté des Mélasiennes et le puritarisme des Anglais. Enfin, il rappelle que si, comme le chantait Charles Aznavour, la misère est moins pénible au soleil, on s’y entretue fort bien.
Que rajouter ? Que les rebelles ont connu une belle descendance – leurs enfants peuplent toujours l’île – et que les très pragmatiques officiers anglais épargnèrent le dernier mutin, mais annexèrent l’île.
Stéphane de Boysson