Nominé dans la dernière sélection officielle d’Angoulême, cet album de Berbérian sans son binôme Dupuy a pourtant souffert d’un manque de visibilité. Nous étions donc curieux de découvrir à quoi cette échappée mythologique pouvait ressembler…
Charles Berbérian, qui a grandi en Irak, a eu l’idée de cet ouvrage en visitant le Louvre, impressionné de redécouvrir les merveilles de ce pays sous un autre jour. Il s’est alors dit que « ce serait drôle de combler les lacunes de la fabuleuse histoire de Gilgamesh en les imaginant », avoue-t-il modestement face à un projet en apparence ambitieux.
Pour être très honnête, je n’ai jamais été fana de mythologie, a fortiori quand celle-ci évoque les rois ou les empereurs de l’Antiquité, portés au rang de demi-dieux capables d’exploits titanesques. Certes, l’humanité a toujours été fascinée par les récits héroïques où de simples mortels deviennent des surhommes, les héros marvelliens d’aujourd’hui n’étant que les héritiers de cette mythologie. Tout dépend évidemment de la façon dont on souhaite meubler son imaginaire…
Pour cette revisite de la fameuse épopée de Gilgameth, le co-auteur de Monsieur Jean a opté pour une approche très distanciée, où il n’hésite pas à moquer cet empereur aux velléités tyranniques, en proie au doute, que son amante Shamhat ne cherche pas vraiment à consoler. Bien au contraire, la jeune femme n’y va pas par quatre chemins, lui reprochant de pleurnicher tout le temps, d’avoir une peau de plus en plus flasque et de trop transpirer quand il lui fait l’amour. Loin de l’image du demi-dieu…
Hormis cette touche d’humour plutôt grinçant, cette revisite pourrait être qualifiée de poétique et de contemplative. Les exploits du roi d’Uruk, notamment son combat avec le « taureau céleste », y sont retranscrits de manière très graphique, sans chercher à injecter une quelconque tension au récit. Les formes à la ligne claire sont rarement remplies par des couleurs, conférant aux personnages un côté diaphane qui ne fait que renforcer l’aspect poétique. Quant aux couleurs elles-mêmes, Charles Berbérian a privilégié deux tonalités dominantes, un beige terreux et un bleu « sale », peu séduisants au premier abord, mais qui paradoxalement donne souvent lieu à des planches très réussies. Les paysages peuvent même être remarquables, dans un style plus proche de l’art pictural, parfois au bord de l’abstraction.
Le point faible serait plus à chercher du côté de la narration, un peu brouillonne. Certes, la mythologie dont s’est inspiré l’auteur n’est sans doute pas des plus fluides, mais le lecteur profane peine à deviner quelle direction Berbérian a vraiment voulu donner à son histoire. C’est un peu décousu, et il n’est pas impossible de réprimer quelques bâillements à la lecture.
Au final, une lecture pas déplaisante non dénuée de charme mais un peu molle, qui pourra sans doute avoir un intérêt pour les passionnés de mythologie, mais en revanche peinera à marquer les esprits « profanes ». Avis donc mitigé pour cette production co-publiée par les prestigieuses Éditions du Louvre et Futuropolis, qui néanmoins se distingue depuis quelques années par des ouvrages de qualité.
Laurent Proudhon