Au delà de ce qu’on espérait, Kevin Morby, touché et inspiré par le fait de jouer au Bataclan, a sublimé une belle soirée de pur rock’n’roll en immense moment d’émotion. Un concert qui est entré directement dans la légende de cette salle qui nous est tellement chère.
C’est peu de dire qu’on attendait énormément de ce concert de Kevin Morby après la sortie de son magnifique nouvel album, This Is a Photograph, et ce d’autant qu’il avait annoncé une tournée en format « rock band » pour pouvoir mettre en avant le plus possible de facettes différentes de sa musique : tout ce qu’on aime… Le Bataclan n’était pas complètement plein ce mardi soir, mais peu s’en fallait, et l’ambiance était particulièrement électrique…
19h45 : la Hollandaise La loye, dans une tenue à la fois masculine et un peu formelle (mais qui a dit que les folkeux devaient absolument être décontractés, voire débraillés, hein ?) attaque son set en acoustique. Elle nous fait d’abord un peu peur avec une musique très retenue, très rêveuse, on craint que ce qu’elle nous propose soit bien trop propre et gentil pour être intéressant. On a tort, car au 3eme morceau, elle prend sa guitare électrique, et sans changer fondamentalement de registre, augmente le niveau d’intensité de ses chansons. Le public réagit bien, et ce d’autant qu’elle nous offre ensuite une version très correcte du Place to Be de Nick Drake. Retour à l’acoustique pour la conclusion de ce court set de guère plus de 20 minutes, porté surtout par une très belle voix.
20h30 : Kevin Morby est donc accompagné par 6 musiciens, dont une jeune femme au chant (a priori, ce n’est pas son épouse, à la différence de l’album…), comme annoncé. Comme sur la pochette de This Is a Photograph, Kevin est maintenant barbu et porte une belle veste à franges qu’il ne quittera pas de la soirée, en dépit de la chaleur. Le démarrage du set sur la chanson This is a Photograph est époustouflant, avec une montée épique en final qui provoque en nous ces fameux frissons d’excitation que nous guettons toujours lors des grands concerts. Le problème, bien sûr, c’est que quand on commence aussi fort, le reste a du mal à suivre…
Sur les chansons suivantes, construites un peu systématiquement en crescendo, Kevin essaie de retrouver la même magie, mais ça ne fonctionne pas aussi bien… Allons, reprenons nos esprits et profitons de la musique, sans attendre un nouveau miracle ! Le groupe joue sec, dur parfois, le lead guitariste est particulièrement agressif et noisy, les interventions vocales de la choriste belles et trop rares, quelques excès de Pedal Steel guitar sont à regretter ça et là, mais Kevin chante aussi bien qu’espéré. Rock Bottom est la tuerie rock’n’roll attendue, et donne le signal d’un enchaînement de morceaux très rock, avec une foule qui salue par des acclamations les (désormais) classiques de Oh My God et de Singing Saw. On notera un savoureux duel de guitares enfiévrées sur City Music, un morceau que Kevin dédie à Paris…
Et puis, alors qu’on arrive à la conclusion du set déjà totalement réjouissant, au bout d’une heure, Kevin décide de dédier Goodbye to good times, à Lou Reed, John Cale et Nico qui ont enregistré ici au Bataclan en 1974 : il met un maximum d’émotion dans cette chanson dépouillée, constat bouleversant du désespoir qui nous a tous saisis à un moment ou à un autre de ces dernières années d’épreuves : Oh, rock me, baby, oh, rock me, child / I miss the good times, mama, they’ve gone out of style / And I don’t remember how it feels to dance, goodbye to good times (Oh, berce-moi, ma chérie, oh, berce-moi, mon enfant / Les bons moments me manquent, maman, ils sont passés de mode / Et je ne me souviens pas de ce que ça fait de danser, adieu aux bons moments…). Le concert atteint à nouveau cette splendeur dont nous savons Kevin capable…
Mais nous n’avons pas encore tout vu, car le rappel va être foudroyant. Kevin rend d’abord un hommage sobre et juste aux victimes du 13 novembre, fait allumer les lumières de la salle pour que nous soyons tous ensemble, et interprète Beautiful Strangers, chanson composée après l’attentat, dans une version tremblante d’émotion :
« Pray for Paris / They cannot scare us / Or stop the music / You got a sweet voice, child / Why don’t you use it? / If I die too young, if the gunmen come, I’m full of love / So release me, every piece of me, up above » (Prie pour Paris / Ils ne peuvent pas nous faire peur / Ni arrêter la musique / Tu as une voix douce, mon enfant / Pourquoi ne l’utilises-tu pas ? / Si je meurs trop jeune, si les hommes armés arrivent, je suis plein d’amour / Alors libère-moi, chaque morceau de moi, là-haut).
On se souvient de nos amis tombés sous les balles des barbares, la voix féminine qui soutient la chanson rappelle clairement les orchestrations de Cohen : il est impossible de retenir nos larmes.
Et puis ce sera, en toute logique, Harlem River, dans une version dantesque, quasi springsteenienne, avec le saxo déchaîné en cadeau, et qui conclut la nuit dans une explosion de puissance.
Ouaouh ! Rien à dire, ce soir, Kevin Morby était au sommet de son Art : pas besoin même d’être fan de folk ou d’Americana pour l’aimer, ce type, il a quelque chose d’étonnant, de singulier, tant dans sa musique que dans sa personne, son attitude, quelque chose qui le distingue du lot de musiciens « simplement doués ». Kevin Morby est un GRAND, pas si loin désormais de ses modèles, des Dylan ou des Cohen d’autrefois !
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
Kevin Morby – This Is a Photograph : vivre pour toujours à l’intérieur d’une chanson ?