Dans ce très bel album, Benoît Broyard et Laurent Richard nous content la fascination éprouvée par un adolescent pour Les Chants de Madoror.
Martin à 17 ans. Sa mère est morte et il ne supporte plus son père. Sauvage et sombre, le lycéen ne se connait que deux amis. Un soir, il découvre dans la bibliothèque familiale un exemplaire des Chants de Maldoror. Instantanément, les poèmes de Lautréamont l’ensorcellent. Leur imaginaire macabre et surréaliste vient illuminer ses propres ténèbres. Le poète pose des mots sur son mal-être et sa souffrance. Martin quitte ses amis et abandonne le lycée. Sa perception du monde change. Si au début, il se plait à lire, puis à converser, avec Maldoror, rapidement, l’imprégnation se fait plus forte et sa présence gagne en permanence. Au fil des pages, Martin semble s’identifier à lui et partager sa colère.
« Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. Écoute bien ce que je te dis : Dirige tes talons en arrière et non en avant. »
Benoît Broyard nous invite à plonger dans la prose morbide d’Isidore Lucien Ducasse. Né en 1846 et mort, phtisique, à seulement 24 ans, il a laissé, sous le pseudonyme de Comte de Lautréamont, une œuvre dérangeante. Le narrateur y conte sa rencontre avec le fascinant Maldoror. Cet être froid, cruel et nihiliste possède un verbe incandescent. Broyard n’adapte pas le texte, une mission qu’il sait impossible, mais il l’actualise en nous contant la fascination, bien contemporaine, de Martin, tout en laissant une large place aux paroles de Maldoror.
Dessinée en noir et blanc, l’histoire est sombre. Pour autant le trait de Laurent Richard est inventif, étonnement clair et d’une froide précision. Ses cadrages sont variés et sa technique laisse peu de place aux ombres. De rares tache rouges accentuent les accès de violence et des lavis les incursions dans l’imaginaire.
Depuis des lustres, Les Chants de Maldoror fascinent les poètes et les âmes ténébreuses. Qu’a donc voulu dire Lautréamont ? Le poète joue-t-il cyniquement avec les codes du fantastique et du rêve, ou a-t-il sombré dans la folie ?
« J’ai reçu la vie comme une blessure, et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le Créateur en contemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante. C’est le châtiment que je lui inflige. »
Stéphane de Boysson