Les espagnols de Miniatura sortent un disque absolument régressif avec Geometria Prohibida qui n’apporte pas grand chose au genre Cold Wave mais qui s’en inspire tout en s’en échappant. Un album qui tire de ses défauts sa plus grande qualité, son humanité débordante.
La musique est faite de guides et de suiveurs, de copiés et de copieurs, de génies et de cour du génie. Il y a peu de place pour un entredeux dans cet espace. Pourtant, certains groupes parviennent à conserver une fraîcheur et un goût de l’inédit tout en s’appuyant sur du matériel référencé, la faute à un angle de vue nouveau, à l’incertitude d’une voix, à la production maladroite d’un disque. Tout cela peut ressembler à des défauts mais c’est souvent de ce caractère inégal, de cette maladresse que naissent les disques que l’on retient et que l’on n’oublie pas. On est bien conscient qu’ils ne révolutionnent pas le genre et qu’ils n’apportent rien de nouveau mais ils nous aident à mieux comprendre pourquoi on adore tant tel ou tel artiste.
C’est exactement cela que nous fait ressentir Miniatura, le groupe originaire des Iles Canari. Oubliez tout de suite ce vent qu’a pu faire souffler le groupe d’Abel Hernandez, Migala. Avec Miniatura, nous ne sommes pas du tout dans les mêmes dimensions et je pense même que le groupe n’est pas en quête d’une telle ambition. Ce que cherche à trousser Miniatura ce sont de simples Pop songs à la saveur sombre pas si éloignés des effluves Noise de Kompromat (2020), le quatrième album des britanniques de I Like Trains. Porté par une voix magistralement théâtrale qui pose le décor, des pièces sombres et tortueuses, le groupe ne nous surprend jamais vraiment sur ce quatrième album mais il ne nous laisse jamais indifférent non plus. La réaction que l’on ressent à l’écoute de ce disque correspond peu ou prou aux climats des chansons qui le constituent, soit une tristesse sourde, un ennui lié à la torpeur, à l’immobilité des êtres. Miniatura alterne des pièces ouvertement Krautrock allant chercher du côté des premiers Neu! avec des titres bien plus sombres et plus en clair-obscur.
On reprochera peut-être aux titres Krautrock une dimension trop référencée et trop respectueuse qui ne nous permet pas d’entrer en totale adhésion avec le contenu. Par contre, les complaintes plus sournoises s’infiltrent profondément dans notre chair comme une possible réponse hispanique à l’ennui traduit par les Early Day Miners sur un autre continent. Le côté motorique des titres Kraut devient un peu systématique et un peu prévisible alors que le reste de l’album ressemble un peu à un patchwork, on sent un groupe qui essaie et tente des choses, des musiciens qui se cherchent une identité sonore en empruntant chez d’autres. Parfois, l’emprunt fonctionne et amène autre chose, parfois il ne prend pas et l’on reste sur le bas-côté dans un sentiment d’inutilité.
En ouverture, Distopia convoque les copieurs de The Soft Moon dans cette même volonté à vouloir faire se chevaucher Post-Punk et Shoegaze. On y entend les climats d’un Cure période Pornography avec des aspérités bruitistes. Cela pose le décor de manière un peu vaine. Le caractère répétitif est un peu facile, d’ailleurs le principal piège dans lequel tombe Miniatura c’est la recherche de la facilité, là où il aurait gagné en épaisseur en osant plus de complexité.
Sur Hypnosis, l’usage de la réverb sur la voix qui se veut le gimmick de la chanson nuit lourdement à l’ensemble en usant du cliché de la voix en-dedans, usant du cliché comme d’une caricature. Dommage, en joignant plus de sobriété à sa composition, Miniatura tenait avec ce titre un pur brûlot. C’est avec tous les défauts d’El Rayo Que No Cesa que notre attention s’éveille vraiment. Avec cet hommage brouillon et plus qu’appuyé au Loveless de Kevin Shields et My Bloody Valentine, Miniatura retrouve cette énergie presque potache, crasseuse, subversive et régressive du shoegaze avant qu’il ne s’embourgeoise et ne devienne qu’un ingrédient d’un plat sans saveur. On se rappelle alors les premiers M83, ce chef d’oeuvre qu’est Before The Dawn Heals Us (2005) avant qu’Anthony Gonzalez ne se fourvoie dans des terres bien moins passionnantes.
Ojos Como Platos est sans aucun doute le sommet de ce disque avec ce juste équilibre entre Post-Punk à la manière des Chameleons période Script Of The Bridge et Shoegaze en mode Slowdive. Le titre est concis, d’une précision chirurgical, il ne s’égare pas dans des effets de manche inutiles. Il n’y a pas à dire, la seconde partie de ce mini-album est bien plus passionnante que la première avec en particulier ce Johnny Guitar crépusculaire et somptueux. C’est comme si le groupe tirait partie de ses erreurs au fur et à mesure que le disque passe et avance pour mieux s’améliorer, pour atteindre un degré d’originalité et de beauté absolument inédite. On pensera souvent aux Tuxedomoon pour cette propension à un certain minimalisme, à une mélancolie pudique. Même le titre qui donne son nom à l’album ré emprunte les routes codées du Krautrock pour une envolée certes référencée mais doucereuse, ample et généreuse.
En bien des points, Geometria Prohibida de Miniatura ressemble à un work in progress, il faudra donc être indulgent avec un groupe pétri de modestie qui ose se montrer en plein travail, en pleine recherche sans avoir encore atteint le plein résultat de sa quête. On retire de cette écoute un mélange étrange de frustration et d’excitation, ce qui est sûr, c’est que l’on reviendra écouter les trouvailles de Miniatura dans le futur.
Greg Bod