Grosse réussite conceptuelle que ce Labyrinthes, où Franck Thilliez balade magistralement son lecteur, sommé de faire preuve d’intelligence pour en imaginer la sortie.
Avec le succès de la littérature policière qui ne s’est jamais démenti depuis ses origines (situons-les, comme il est de coutume, à la naissance du détective Auguste Dupin, inventé par le génial Edgar Allan Poe au milieu du XIXème siècle), il semble de plus en plus difficile de trouver de nouvelles formules qui surprennent le lecteur et renouvellent son plaisir. On se souvient bien entendu du tour de force de la jeune Agatha Christie qui, dans son septième roman, le Meurtre de Roger Ackroyd, utilisa brillamment – même si elle ne l’a pas elle-même inventé – un mécanisme redoutable pour piéger son lecteur (qui fut d’ailleurs critiqué à l’époque par les puristes comme une manière de tricher avec le lecteur !). Quelque part, l’auteur français à succès Franck Thilliez met en place dans son Labyrinthes une construction de son intrigue qui nous semble inédite, et qui relève là aussi d’un véritable petit exploit, justifiant pleinement la lecture du livre – et son probable succès populaire (Y aura-t-il des critiques s’offusquant du fait que Thilliez triche lui aussi ?)
Mieux encore, la relative simplicité de l’histoire de Labyrinthes, une fois qu’on a saisi le mécanisme – ce qu’il est possible de faire avant que l’auteur ne nous le dévoile totalement, et donc de se sentir relativement fier de soi ! – joue clairement en faveur du livre : on lit tellement de thrillers et de polars de nos jours qui, fautes d’idées, manœuvrent leur lecteur en embrouillant leurs intrigues aux dépends de toute vraisemblance, qu’il est bon d’avoir affaire ici à une histoire relativement logique.
Le parcours du lecteur commence à un point du « labyrinthe » qui en est à la fois l’entrée et la sortie, et la quasi-totalité du livre prend la forme d’un récit / flashback fragmenté, construit à partir d’une scène initiale, la découverte d’une jeune femme amnésique aux côtés d’un cadavre d’homme au visage détruit. Qui sont-ils ? Qu’est ce qui les a amenés là ? C’est le sujet du roman, ou plutôt c’est la quête dans lequel se lance le lecteur en parcourant le labyrinthe tel Thésée, jusqu’à un final qui nous ménagera quand même un ultime twist qui s’apparente presque à un clin d’œil complice de l’auteur.
En chemin, on rencontrera pas mal de monstres – le livre peut être lu comme un assaut contre les violences faites aux femmes -, on assistera à plusieurs parties d’échec (le thème du jeu d’échec est d’ailleurs un peu sous-exploité), on croisera évidemment un Minotaure et, logiquement aussi, une Ariane. Plusieurs beaux portraits de femmes constituent le livre – la journaliste, la psychiatre, la kidnappée, la romancière – comme pour nous rappeler la complexité de la femme, largement insaisissable pour le mâle agissant comme un prédateur et dont la cervelle n’est clairement pas placée où elle devrait.
L’écriture de Thilliez, bien que sans grande aspérité, évite les écueils habituels du polar français, la grandiloquence et les effets de style ampoulés. Tout semble mis au service de l’efficacité de la construction et du récit et c’est très bien comme ça.
S’il fallait faire deux reproches à cette très belle réussite, on pourrait regretter quelques excès dans l’horreur, parfaitement inutiles à notre avis, et, parce que c’est un sujet qui nous intéresse, une assimilation excessive du body art et de la performance typique de certaines formes d’Art Moderne à des perversions. On a envie de penser que Thilliez vaut mieux que ces facilités, qui peuvent être interprétées comme une volonté de caresser un public pas trop exigeant dans le sens du poil. Ce sont là néanmoins de petites scories dans une œuvre réellement impressionnante, certainement l’un des polars les plus divertissants sortis ces derniers mois.
Eric Debarnot