[Cannes 2022] Le Carnet de bord d’un festivalier 3/3

Au moment où le 75e Festival se clôture, retour sur mes ultimes frémissements cannois, à travers le troisième volet de mon carnet de bord d’un festivalier. Une chronique complétée par le palmarès d’une édition de bonne facture, mais sans chef-œuvre, à l’heure où le cinéma est en péril.

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En sa demeure, dernières prises de pouls et de battements de cœur cannois avant le clap de fin. Les cannes deviennent lourdes pour la mise en jambes matinale, les paupières tombent un peu sous la fatigue, mais mon âme reste bien décidée à demeurer en alerte pour accueillir les offrandes cinématographiques dans la maison de mon cœur. Mon élévation s’entame par une énième montée des marches où les selfies crépitent sans les cris des fiévreux paparazzis de manières bons enfants avec de larges sourires non feints sur tous les privilégiés que nous sommes. Le plaisir mue à chaque marche où personne ne fait la moue. Les salles se remplissent avec pour chacun une place favorite, l’excitation est palpable, les applaudissements se succèdent lorsque apparaît le générique de la sélection officielle et les divers boîtes de productions. Un vacarme anarchique, puis la tranquillité respectueuse se fait au chœur de cette cathédrale dédiée à la plus grande messe du cinéma mondial. Seul mais ensemble, on perçoit en silence la moindre vibration, on devine les sourires se former, on frissonne de plaisirs ou l’on s’interroge sur certains rires entendus et parfois on entend résonner les larmes. À Cannes, il n’y a pas que devant EO de Jerzy Skolimowski que tous les sens font écho.

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Notamment devant As bestas l’intense thriller rural espagnol de Rodrigo Sorogoyen (El reino, Madre). Une plongée sous haute tension au sein d’un village montagnard de la Galice (communauté autonome au nord-ouest de l’Espagne) aux côtés d’Antoine et Olga, un couple de français ayant quitté de bonnes situations professionnelles pour s’installer ici, afin de pratiquer une agriculture biologiques et qui s’activent également à la restauration de vieilles bâtisses délabrées, afin de repeupler la région désertée. Le brillant réalisateur capture l’intrigue comme un néo western où le récit met en lumière la sauvagerie humaine, à travers une narration de plus en plus irrespirable ? Cette œuvre éloquente pointe le virilisme et le rejet de l’autre par le biais d’une fracture politico-social dont l’acuité psychologique s’avère épatante. Un long métrage profond et efficace salué par une superbe ovation à l’issue de la projection en salle Agnès Varda, dont le nom remplace dorénavant la fameuse salle du Soixantième, où l’on entend parfois tourner les hélicos. Un film à découvrir dès le 20 juillet en salles, y a pas photo !

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Et ce n’est pas l’immense chef opérateur franco-iranien Darius Khondji récompensé cette année par le prestigieux Prix Pierre Angénieux dont l’optique de voir les films en salles est primordiale. À cette occasion le sensible et modeste directeur de la photo (Delicatessen, Seven, My blueberry nights, Amour, Minuit à Paris, The lost city of Z…) nous donne rendez-vous le jeudi 26 mai à 10h30 au sein du luxueux salon Méditerranée de l’hôtel J.W Marriott à sa Masterclass en anglais, animé par Jordan Mintzer. Le photographe de 66 ans s’est prêté volontiers à l’objectif de cette rencontre : poursuivre en live la conversation avec le journaliste, là où le formidable livre d’entretiens s’était arrêté en 2017. Une évocation riche et touchante de son amour pour la pellicule « C’est tellement sexy de filmer avec. La texture est belle, elle va très bien sur les tons de peaux. ». Son exploration du numérique (qu’il ne rejette pas) s’est opéré avec le réalisateur danois Nicolas Winding Refn rencontré à Cannes il y a quelques années lors d’un déjeuner organisé par Kodak autour du projet de la série très esthétique et atmosphérique Too Old to Die Young (2019). « Il m’a convaincu n m disant que je serai libre d’expérimenter à ma guise et que nous pourrions être totalement libres là-dessus. C’était incroyable. » confesse l’artiste.

Puis vient l’évocation de son travail et de son style « Je ne pense pas avoir un style particulier, tant je travaille sur des projets complètement différents les uns des autres.», à travers sa collaboration avec les frères Safdie avec le percutant Uncut Gems (2019), avant d’évoquer celle en forme de retrouvailles avec James Gray sur Armageddon Time (2022) sélectionné cette année en compétition officielle. Un long métrage  dont le montage s’est terminé quelques jours avant le début du Festival. où après plusieurs interrogations entre le choix du support, le numérique s’est imposé. « Avec James nous avons énormément discuté du meilleur choix possible en mêlant nos idées en parlant chaque jour d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, et de peintres réalistes américains que l’on aime tous les deux. Cela nous a montré une direction.  La maison principale du film, elle était couverte de cadres noirs pour donner le sentiment que cet endroit était très sombre, bas de plafond. Un cauchemar pour un cauchemar. ». La conversation feutrée comme le salon à la moquette épaisse se termine avec quelques pertinentes questions pointues d’une assistance comblé par ce moment particulier et passionnant. Heureux d’avoir pu assister à cet échange précieux, grâce à l’invitation de la généreuse attachée de presse Isabelle Buron (IB Presse) je peux repartir l’âme bien éclairée vers de nouvelles aventures de la compétition officielle.

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Après avoir enthousiasmé la communauté critique et les spectateurs cinéphiles avec son formidable coup de maître La loi de Téhéran, le cinéaste iranien Saeed Roustaee honore avec brio sa première sélection officielle par le biais de Leïla’s brothers. Une admirable fresque au sein d’une famille devenue mafieuse par nécessité. Un besoin vital qui démontre de manière éloquente qu’en Iran aussi l’ascenseur social est en panne. Tout le contraire de l’inspiration du metteur en scène où il y a du cinéma à tous les étages. Plusieurs séquences sont autant de morceaux de bravoures cinématographiques. La scène d’introduction impressionne quant à la capacité de Saeed Roustaee de mettre en place de façon vertigineuse le chaos au milieu de la foule, à travers une sensationnelle séquence d’évacuation d’ouvriers dans une usine sous les coups de matraques et multiples débordements mis en parallèle avec Leïla en train de se faire douloureusement manipuler par une femme. Un avant-goût de la tragédie familiale qui s’annonce. Une œuvre politique et sociologique d’une puissance admirable, qui peut étourdir parfois par la logorrhée de ces protagonistes mais épate régulièrement par son récit romanesque et les justes incarnations de ses personnages. En particulier la bouleversante Taraneh Allidousti dans le rôle de la sœur pivot et moteur de la famille, une robuste présence et un visage que les festivaliers n’oublierons pas (Sortie nationale le 24 août 2022).  Tout comme cette troupe de théâtre tellement vibrante et attachante, orchestrée par les souvenirs personnels de la réalisatrice Valeria Bruni Tedeschi qui signe avec Les Amandiers assurément son meilleur film (Sortie nationale le 9 novembre 2022). Ce long métrage en forme d’hommage au théâtre et à Patrice Chéreau et à Pierre Romans en particulier nous replonge avec nostalgie et bonheurs dans les années 80. Une œuvre chorale foisonnante, foutraque, imparfaite mais où chaque instants de vies semblent irrigués par une aspiration artistique sans bornes et une fureur de vivre toutes les passions sans aucune limite (répétitions, amours, drogues..) sous la menace planante du SIDA. Ce shoot m’a visé en plein chœur, avant que ma route reprenne les rails vers la capitale.

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En attendant le soleil inonde abondamment la baie de Cannes, loin de la noirceur du monde, la croisette frémit de ses pronostics avant les dernières paillettes, alors que le tapis rouge met une nouvelle tenue pour recevoir les derniers pas dans son plus bel écrin. Ce soir certains seront reines ou princes d’un soir, doré.e.s dans ce palais qui va indéniablement changer leurs vies. Conclusion en forme de palme d’une édition, où l’on a démasqué de nombreux très bons films, des éclats de cinéma, mais sans véritable bijou qui rend les résultats de la compétition (si l’on considère que l’art cinématographique peut supporter cette occurrence sportive), très incertains. Quelque soit les récompensé.e.s, les débats pour du vent trouveront leurs sources dans les moulins du vide. Car personne ne sera comblé complètement, la salle de presse multi-langues va décliner le palmarès gravé dans le marbre de l’Histoire du cinéma, et puis vivement commenter à l’international tels ou tels choix au milieu des bruits de claviers dans une symphonie de touches majeures. Dès demain le lieu sera vide de sons, la ville de Cannes retrouvera la paix, les vieux reclus chez eux depuis 12 jours arpenteront enfin paisiblement les allées bordées de palmiers, où il fait bon marcher sans films. Moi, l’âme sans vague mais le cœur réchauffé d’émotions cinéphiles je vais reprendre mon train train « Inoui » quotidien avant de vibrer à nouveau devant les écrans lumières du quartier Latin, où j’aime tant me perdre. La fête est finie, salut et bravo aux artistes pour cette kyrielle d’images et toutes les valses d’émotions si denses que chaque films aura offert en instantanées.  Un tourbillon de vies cathartique qui procurent mes sens de la vie. Cinéma, éperdument, ma plus belle histoire d’amour, c’est toi !

Sébastien Boully

PALMARES DE LA SÉLECTION OFFICIELLE DU 75e FESTIVAL DE CANNES 2022

Palme d’Or au réalisateur suédois Ruben Östlund pour Triangle of Sadness

Grand Prix ex-aequo à Close du Belge Lukas Dhont et Stars at noon, de la Française Claire Denis 

Prix Spécial 75e édition du Festival de Cannes pour Jean-Pierre et Luc Dardenne pour Tori et Lokita

Prix de la mise en scène au réalisateur sud-coréen Park Chan-wook pour Decision to leave

Prix du jury ex-aequo à Le Otto montagne, de Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen, et EO (Hi-Han) de Jerzy Skolimowski

Prix du scénario au Suédois Tarik Saleh pour Boy from heaven

Prix d’interprétation masculine à Song Kang-ho, pour le film japonais Les Bonnes étoiles de Hirokazu Kore-eda

Prix d’interprétation féminine à l’Iranienne Zar Amir Ebrahimi, pour le film Holy Spider, d’Ali Abbasi

La Caméra d’or au film américain War Pony, de Riley Keough et Gina Gammell

Mention spéciale de la Caméra d’or à Plan 75, de la réalisatrice japonaise Hayakawa Chie

Palme d’or du court-métrage à Hai Bian Sheng Qi Yi Zuo Xuan Ya (The Water Murmurs), de la Chinoise Jianying Chen.