Bertin Leblanc, ex-porte-parole de l’Organisation internationale de la francophonie, relate son expérience dans l’institution. Une fable pleine d’ironie sur un univers méconnu, loin d’être flatteuse, qui hélas fournit peu de raisons de croire à l’avenir de la langue française…
En 2016, Bertin Leblanc se voit proposer un poste en or : porte-parole au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie. Mais il va vite découvrir que la fonction ne s’avère pas de tout repos. En effet, la secrétaire générale, Michaëlle Jean, a de grandes ambitions pour l’OIF, mais elle a du mal à respecter le protocole lié à son rôle et tend à n’en faire qu’à sa tête…ce qui n’est pas du goût de tout le monde, notamment de la presse québécoise, du Premier Ministre Justin Trudeau et du Président français Emmanuel Macron.
Qui connaît vraiment l’Organisation française de la Francophonie. Qui représente-t-elle, quel est sa fonction et a-t-elle une influence dans le concert mondial des pays ? Si peu de monde s’est véritablement posé la question (on ne va pas se mentir, on s’en moque un peu de la francophonie…), Bertin Leblanc est là pour nous apporter des réponses. Et contre toute attente, on se laisse prendre au jeu, c’est toujours intéressant d’en savoir plus sur une organisation dont la mission ne se limiterait qu’à couper des rubans, du moins sommes-nous nombreux à la penser…
Ce récit basé sur le témoignage de Bertin Leblanc, vient nous prouver que ce que l’on pouvait penser se vérifie… que cela brasse beaucoup de vent pour pas grand-chose, et que derrière le rayonnement de la langue française se dissimulent des enjeux où généralement le culturel est les droits humains passent après la politique et la communication. Michaëlle Jean est une personnalité volontaire et bosseuse, mais sa volonté réformatrice lui attire des ennemis et les peaux de banane ne vont pas manquer. Charismatique et lumineuse, un brin directive et très bavarde, son ego est stimulé par la nuée de courtisans qui l’entourent. Épinglée par la presse de son pays pour des « dépenses somptuaires » dans son appartement de fonction à Paris, dépenses qui pourtant n’ont pas été décidées à son initiative, elle devra en plus batailler avec Macron pour qui elle n’est pas suffisamment « conciliante » avec le fameux « pré carré » africain (notamment pour la question du droit des femmes). Et au fond, le président français se moque bien de la francophonie, mais pour lui, toutes les occasions de lustrer son ego sur une tribune, qui plus est internationale, sont bonnes, ce qui n’a rien de vraiment surprenant du point de vue d’un Français ! Et puis chacun dans les « hautes instances » en est persuadé, l’avenir de la francophonie est en Afrique ! Peu soutenue par le gouvernement de son propre pays, la réélection de la présidente est plus que compromise. Sa concurrente directe, la rwandaise Louise Mushikiwabo, qui apparaît plutôt antipathique et autoritaire, est pourtant privilégiée par les membres de l’organisation, et on se doute que cela a plus à voir avec des tractations bassement politiques qu’avec sa personnalité.
Comme le titre l’insinue, il est bien question de langage, et sur ce plan, les paroles et les blablas ne sont pas en reste. Pour un sujet qui pour beaucoup pourrait sembler rébarbatif, le dessin de Paul Gros vient équilibrer le propos par son trait rond et ludique qui s’inscrit dans une veine typiquement franco-belge (ou plutôt franco-belgo-québécoise dans le cas présent…). Il est vrai qu’on imaginait difficilement un manga ou un comics pour illustrer un tel récit…
Cette bande dessinée nous permet de voir qu’au final, l’OIF a plus à voir avec l’opérette — les dignitaires se font même appeler « excellence » (sic). Tout cela est assez édifiant et ceux qui soutiennent la francophonie auraient bien du souci à se faire quant à l’avenir et l’influence de l’institution. Les auteurs ne se privent pas en outre d’évoquer, non sans ironie, l’hypocrisie qui règne en coulisse, ainsi que certaines absurdités telle la présence de l’Arabie saoudite en tant que pays observateur au sein de l’institution, pas davantage connue pour sa francophilie que pour sa tolérance en matière de démocratie… Pour ceux qui s’intéressent à la question, mais pour les autres aussi, Éléments de langage est d’une façon plus générale une fable sur le pouvoir, tout à fait digne d’intérêt pour constater que oui, la francophonie est vraiment une drôle de planète…
Laurent Proudhon
Éléments de langage – Cacophonie en Francophonie
Scénario : Bertin Leblanc
Dessin : Paul Gros
Éditeur : La Boîte à Bulles
208 pages – 27 €
Parution : 6 avril 2022
Éléments de langage – Cacophonie en Francophonie — Extrait :