[arte] The Honourable Woman : thriller sous tension au coeur du conflit israélo-palestinien

Grande série d’espionnage de la BBC datant de 2014, The Honourable Woman refait surface sur la plateforme Arte.tv, histoire de se (re)plonger dans les méandres et les tourments d’une crise internationale menée avec brio, dans les règles de l’art sériel britannique.

THE HONOURABLE WOMAN
Copyright BBC

Aux commandes de cette mini-série anglaise, on retrouve le brillant créateur de The Shadow Line, Hugo Blick. Et on retrouve son même plaisir à obscurcir dès le début son intrigue entre John Le Carré et Homeland, quitte à perdre un peu le spectateur sur les premiers épisodes, ou du moins de multiplier les pistes pour que l’on soit aussi déconcerté et confus que fasciné. De ce côté-là , c’est plutôt réussi : The Honourable Woman évoque le parcours à obstacles de Nessa Stein (impeccable Maggie Gyllenhall) qui est à la tête d’une société internationale de construction de réseaux de télécommunications, en partenariat avec son frère, plus en retrait. En proposant comme projet le réseautage en fibre optique de toute la Cisjordanie, elle espère, en plus du progrès technologique, pouvoir pacifier économiquement une région du Proche-Orient en conflit permanent (Bande de gaza, les rivalités israélo-palestiniennes). Ses désirs vont pourtant se heurter à plusieurs problèmes : assassinat du futur mécène palestinien, enlèvement de l’enfant de leur nounou, mais aussi des personnages qui ressurgissent d’un passé nébuleux d’otage… Et ces relations éco-sociales attendues vont brutalement se muer en un conflit international imminent…

honorable-womanCompliqué, donc, mais pas forcément imbitable. Car la prouesse de The Honourable Woman, en sus d’une mise en scène classique mais élégante, c’est de proposer des pistes de narration non convenues mais réussies au final : d’abord, la majorité de l’action se passe au Royaume-Uni, alors que la question centrale reste la géopolitique de la zone Israël-Palestine. Cette « délocalisation » de l’intrigue renforce l’idée que tous les conflits internationaux ne se jouent pas forcément (ni ne se règlent) au coeur de l’action. La machinerie des accords et des pouvoirs des états, loin des tumultes et des guerres armées, est donc le nerf central des décisions et des solutions/problèmes. Un pas de côté assez inédit, brillant même, qui en fait une vraie différence avec Homeland. Autre point divergent avec la série américaine qui sera forcément mis en comparaison, le rythme. Ici, tout est très feutré, anormalement calme : la réalisation épouse les chemins de ses héros, diplomates ou cachant de lourds secrets, et l’ensemble reste souvent sur des chuchotements ou des non-dits, des plages de nonchalance ou de ressentis silencieux, si bien que quand cela explose, à de rares moments fulgurants, le résultat impressionne, le décalage aussi.

Et cette tranquille montée en puissance, organisée en multiples chemins narratifs, propose au téléspectateur un vrai challenge : celui de placer ses pions dans un échiquier de thriller politique tordu, avec à la fois une exigence dans les thèmes (il vaut mieux comprendre un peu l’histoire longue du conflit israélo-palestinien, même si ce n’est pas obligatoire…), la psychologie des personnages (tous brillamment incarnés par la crème anglaise des castings de séries de la BBC), et le dénouement à la fois limpide et surprenant. Jusqu’au bout, la série va vous déstabiliser et vous accrocher en même temps, sur un sujet pourtant pas très fun ou très « visuel ». Qu’importe, c’est un vrai moment passionnant de réflexion historique et politique, d’intrigue haletante, et de qualité audiovisuelle. En ces temps de surconsommation rapide sérielle, c’est une beau pas de côté, faites-le.

Jean-françois Lahorgue

The Honourable Woman
Non-série anglaise (BBC) de Hugo Brick
Avec Maggie Gyllenhall, Stephen Rea, Lubna Azabal
Genre : Thriller politique
9 épisodes de 60 mn environ
Diffusion : à partir d’avril 2022 (arte.tv)