Première journée LEVITATION au Chabada, sous le soleil et évitée par les orages, qui a vu défiler le meilleur et le pire (enfin, c’est relatif) pour le plus grand bonheur des festivaliers…
A peine débarqués de notre TGV dans la bonne (et belle) ville d’Angers, sous un soleil de plomb, une mauvaise nouvelle nous frappe entre les deux yeux : l’annulation en toute dernière minute de Dry Cleaning, du fait des pratiques commerciales d’Easy Jet qui a annulé des vols. Conséquence, outre le fait que nous n’aurons pas le plaisir de voir ce groupe qui était l’un des sommets de l’affiche de ce premier jour du Festival Lévitation, nous découvrons que l’ordre de passage des groupes, qui auront un peu plus de temps pour leurs sets, est bouleversé, engendrant une certaine confusion, sinon sur le site du Chabada, mais du moins dans nos têtes…
Il est déjà 18h50 quand Stuffed Foxes – originellement programmés en second – attaquent le premier concert de la soirée. Il fait encore chaud et le soleil est là, après que les quelques nuages d’orage prévus se soient dispersés sans faire de dégâts. Principalement instrumental, le rock psyché (ou pas ? leurs influences sont loin d’être évidentes) hyper puissant des « renards empaillés » tourangeaux est toujours aussi convaincant, et on oserait même affirmer qu’ils ont encore progressé depuis la dernière fois où on les a applaudis, en août 21 : les six musiciens – dont 3 guitaristes, rappelons-le (et même 4 sur l’un des titres !) jouent toujours de manière aussi intense et exaltée, et la violence cathartique de leur musique s’avère irrésistible. Un visiteur écossais rencontré dans le bus qui nous menait au festival exulte : « Je suis heureux, je peux rentrer à l’hôtel tout de suite, j’ai vu le meilleur groupe possible aujourd’hui ! ». Une fois encore, quel bonheur de réaliser que nous avons en France une réserve de groupes avec un tel potentiel ! 40 minutes bénies par les Dieux du Rock’n’Roll. Et un démarrage de grande classe pour ce festival… qui malheureusement va marquer le pas avec les artistes suivants…
19h30 : Albinos Congo, sur la scène Elévation située juste en face de la scène Réverbération où jouaient Stuffed Foxes, a un nom qui ne donne pas forcément très envie. Malgré un look moins « conventionnel » que les sombres rockers de Stuffed Foxes vêtus de noir, et en dépit d’une tendance à l’humour absurde, ils jouent lourd et fort. C’est heavy, c’est baroque parfois (le chanteur aux lunettes jaunes aime pousser sa voix dans les aigus et faire le mariole), mais, paradoxalement, leur set manque de (vraie) déraison, et pire encore, d’enthousiasme. Un final plus radical n’arrivera malheureusement pas à compenser une notable absence d’inspiration, et on passera rapidement à la suite…
20h20 : Dans la même logique (pas trop logique, en fait…) d’inversion de l’ordre de passage des groupes, on retrouve la scène Réverbération où la jeune troupe de Black Country New Road est encore en train de faire son soundcheck. C’est le concert de tous les dangers de la journée : ce groupe phare de la nouvelle musique britannique est, on le sait, désormais privé d’Isaac Wood, son génial leader. Et poursuit sa route avec de nouvelles chansons, une nouvelle (?) direction musicale, ce qui ne manque pas de courage.
Nous étions évidemment inquiets, et ce set ne fera rien pour dissiper nos inquiétudes, loin de là, même si on veut bien admettre que le fait de ne pas connaître les morceaux interprétés – tous nouveaux, pour marquer la rupture avec l’époque Isaac Wood -, ne favorise pas notre immersion dans une musique toujours complexe, qui est la plupart du temps proche du rock progressif. Ou disons du folk progressif, vu les instruments utilisés (violon, flûte, accordéon). Au chant, trois musiciens se relaient avec un bonheur inégal : c’est Tyler Hyde, la petite bassiste qui, même si elle n’a pas la plus belle voix, se tire le mieux de l’exercice. On retrouve çà et là les accents (le lyrisme pop…) de Divine Comedy qui existaient déjà auparavant. Quand la musique monte en puissance, ce qui est trop rare, elle devient plus convaincante… mais à chaque fois le soufflé retombe. Peut-être le groupe ne s’est-il pas encore assez éloigné de son style original, ce qui le condamne aux comparaisons défavorables avec son passé… C’est néanmoins intéressant de voir le groupe travailler ensemble sur scène, pour trouver une manière d’interpréter, d’exprimer leur nouvelle musique qui puisse nous toucher : une chanson plus classique, piano-voix (May Kershaw, la claviériste, pour le coup), pourrait indiquer une direction musicale qui irait mieux au nouveau Black Country New Road. Ils ne joueront pas l’heure qui leur est impartie mais seulement 45 minutes, et leur dernier morceau, plus emphatique, fonctionnera suffisamment bien pour que l’on ne se quitte pas trop, trop déçus…
21h10 : nous attendions beaucoup de Automatic, girl band angeleno vaguement punky qui a choisi les claviers pour remplacer la guitare. Malheureusement le set démarre assez lentement, sur des morceaux qui manquent de folie, de rythme et même simplement d’intensité. Il faut attendre Energy, un nouveau titre bien nommé pour qu’on remue un peu. Mais notre plaisir est de courte durée, les trois filles ne semblent pas vouloir aller au-delà d’une interprétation très sage de leurs (plutôt bonnes) chansons. On apprécie les mélodies pop sucrées, les synthés au son très eighties, la basse jouée au médiator, l’ambiance générale « club », très New Order par moments … mais on aimerait plus de conviction, ou simplement de plaisir de jouer sur scène. Il est clair que, délaissant l’option punk / Suicide possible après leur premier LP, le trio a choisi de tenter le succès commercial, avec une musique dansante et lisse.
22h15 : Kevin Morby, enfin, après un programme qui s’est avéré décevant, une fois les Stuffed Foxes passés ! Soyons sincères, Morby est l’une des grandes raisons pour lesquelles nous sommes là ce soir : l’espoir insensé de revivre l’expérience extraordinaire du Bataclan est là, et menace d’ailleurs de créer la déception, la barre ayant été placée très haut. Mais Morby est en ce moment sur une dynamique triomphale, et son heure dix minutes de concert va le confirmer : même avec une setlist réduite (pas de Bittersweet, Tn, pas de Goodbye to Good times ce soir, et ces titres nous ont manqué…), ça fait impeccablement le job, entre un groupe puissant (quand il le faut) et subtil, et Morby qui alterne chansons excitantes à reprendre en chœur (This Is a Photograph, en introduction dantesque !) et moments d’émotion intense (Parade, les larmes aux yeux…). Et bien sûr, et heureusement, on boucle le concert avec une version colossale de Harlem River : les poils dressés sur les bras, les yeux embués, et puis après les qualificatifs incontournables : « incroyable », « fou », « magique »… Signalons aussi que, paradoxalement pour un concert de « folk-rock », le public est largement parti en vrille, avec slam et moshpit. Comme quoi, Kevin Morby, il sait vraiment tout faire.
23h30 : grossi, barbu, adulte… Dara Kiely ne met que quelques minutes pour mettre le feu à la foule de ses fans surexcités : Gilla Band (ex Girl Band, depuis moins d’un an) ne se laisse pas impressionner par le triomphe de Morby. De toute façon, on joue dans une cour bien différente rendant toute comparaison impossible, et permettant d’aller chercher notre plaisir dans des endroits différents du corps et du cerveau. Gilla Band, régulièrement qualifié de groupe le plus important, le plus novateur de son époque, c’est une musique mi-techno (mais largement jouée en format rock band traditionnel), mi-indus, sur lequel Dara, dont on connaît les problèmes psychiatriques majeurs, harangue, récite, chantonne, murmure, et finalement hurle. Tout ça avec des accents occasionnels de désespoir qui frappent au plexus. Gilla Band, pour beaucoup – et ils n’ont pas tort – c’est juste du bruit. Et pourtant, il est difficile de résister à l’excitation qui naît au sein du chaos : il faut seulement apprendre à lâcher prise, et à admettre qu’à force d’abstraction, on peut rencontrer une sorte de vérité profonde. D’ailleurs, le festival finit par complètement lâcher prise sur le final techno de Why Did They Bury Their Bodies Under My Garage ? Une tuerie, et une conclusion parfaite à une journée inégale.
Demain sera un autre jour.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot