Le Trabendo était complet lundi soir pour dire au revoir, et merci pour tout, à ce groupe exceptionnel qu’a été – qu’est encore – Kikagaku Moyo. Le Trabendo est entré en transe, et nous sommes tous ressortis de là la tête dans les nuages.
Après la claque que la plupart d’entre nous ont reçue au Festival Lévitation ce week-end, il était inconcevable de ne pas revoir et réécouter (une dernière fois ?) Kikagaku Moyo sur scène (puisqu’ils passaient dans la foulée à Paris)… tout en sachant que le cadre intimiste du Trabendo allait changer la perception que nous aurions de leur musique. Quand on pénètre d’ailleurs dans la salle, on est effrayé par l’accumulation du matériel du groupe sur une scène bien trop petite pour eux…
20h : les deux Taïwanais de Mong Tong entrent en scène, guitares en bandoulière, et se placent devant leurs claviers et ordinateur… avant de se bander les yeux ! Un concept pour le moins original dont on aimerait connaître le sens (symbolique ?)… et qui ne les empêche pas d’interpréter parfaitement leur musique instrumentale, couvrant un large spectre sonore : ambient music, sonorités orientales, basse groovy, envolées lyriques des claviers, guitare wah-wah, dérapages bruitistes, tout se mélange au fil des morceaux, et tout finit par s’assembler en… une invitation sensorielle au voyage qui s’avère étonnamment plaisante. Les deux frères revendiquent apparemment leur amour du paranormal et leur culture de Bandes Originales de jeux vidéo, et peut-être que ceci explique cela… 40 minutes, c’est néanmoins un tout petit peu long, surtout lorsque l’atmosphère au Trabendo est aussi étouffante que ce soir…
21h05 : A la différence de la longue entrée en matière dont nous avaient gratifiés les cinq musiciens de Kikagaku Moyo à Angers, on rentre cette fois de plein fouet dans la musique du groupe, par son versant le plus rock et le plus psyché, grâce à l’enchaînement de Carboard Pile et du très dansant (et donc bien nommé…) Dancing Blue, les deux morceaux qui ouvrent le dernier album du groupe, Kumoyo Island. Pourquoi pas ? Les Japonais sont réputés pour changer de setlist chaque soir, et il est clair que ce soir ils ont voulu emballer directement le public au lieu de nous offrir une immersion progressive.
La construction du set sera donc bien différente de la montée en puissance progressive de Lévitation, et aura plus l’aspect de montagnes russes : le très accrocheur Dripping Sun, sommet complexe et réjouissant de l’album Masana Temples, est cette fois la pièce maîtresse du set, placée en son centre. L’intro à la basse et les premiers accords, très morriconiens, sont accueillis par des cris de joie des fans, avant que le maelstrom de guitare ne nous engloutisse tous, et que les ruptures régulières de rythme et de ton ne nous emportent dans le monde mystérieux de ce groupe réellement étonnant. Et puis, bien logiquement, les moments violents le sont dix fois plus que sur la version de l’album : à ces moments-là, assez brefs (trop brefs ?), Kikagaku Moyo est une incroyable machine de guerre…
Vu de près cette fois, on apprécie beaucoup plus encore le jeu de sitar de Ryu Kurosawa, allant suivant les morceaux des sonorités indiennes les plus traditionnelles (Ravi Shankar, quelqu’un ?) à des explosions électriques que n’aurait pas renié Jimmy Page à la grande époque de Led Zeppelin.
Mais au final, c’est bien Daoud Popal qui impressionne le plus : charismatique en diable, vêtu de son pantalon tellement large qu’on croit qu’il s’agit d’une robe, pieds nus, c’est à nouveau lui qui monopolise l’attention lors de la dernière partie du set, en particulier sur une version de Gatherings exceptionnelle, où l’orgue de Ruy est lui aussi parfaitement envoûtant : tout le Trabendo est comme en transe, et même s’il nous aura fallu finalement plus longtemps, ce soir, pour entrer dans le jeu du groupe, ils nous tiennent désormais totalement à leur merci. Lorsque le morceau accélère dans sa dernière partie, on est presque du côté des moments les plus forts d’un groupe comme Oh Sees, avec toutefois encore une certaine retenue de la part des musiciens qui restent clairement dans la maîtrise. La même approche se poursuit avec un Silver Owl tout aussi épique, avant que la balade rêveuse de Kogarashi ne marque la fin du set.
Tout le monde hurle pour réclamer un rappel, tant il est hors de question que le groupe disparaisse ainsi, et ce sera l’un des morceaux les plus charmants, les plus faciles du dernier album, Monaka, joué avec tendresse et subtilité : un vrai message d’amour du groupe, chanté par un Tomo Katsurada qui sourit aux anges, avec le sitar qui tricote des arpèges (mais est-ce le bon mot ?) rêveurs.
On ne peut pas croire que ce soit la dernière fois que ces musiciens exceptionnels se produisent devant nous (comme on ne peut pas croire non plus qu’ils soient totalement autodidactes, tant leur virtuosité est désormais impressionnante…) : non, on va dire que Kikagaku Moyo vont faire une pause, qu’ils vont vaquer à d’autres occupations quelques mois, quelques années au pire, et qu’on les reverra un jour…
… Qu’on les reverra bientôt !
Texte et photos : Eric Debarnot