Belle surprise que cette quatrième saison de la série ultra-populaire Stranger Things, qui rebat les cartes, se présente comme une nouvelle proposition formelle, et fait en plus avancer son histoire. Bien vu !
Attendions-nous encore quelque chose de Stranger Things après le choc de la découverte de la première saison en 2016 (6 ans déjà !), et deux saisons qui poursuivaient largement dans la même veine, quelque fois avec succès, et d’autres sans réussir à ranimer la flamme des débuts ? Trois ans se sont écoulés, et l’on sait que, à l’âge des personnages – et surtout des acteurs ! – de la série, c’est l’écart qui sépare les enfants des adolescents, et les adolescents de jeunes adultes : curieusement, alors que ce décalage temporel permettait au Duffer Brothers de relancer leur série avec des personnages plus mûrs, et donc de partir naturellement dans de nouvelles directions, en particulier dans les rapports entre les enfants / adolescents et leurs parents, le scénario ne prend pas acte de ces trois années, et nous demande de ne pas croire ce que nos yeux voient et d’imaginer que nous avons toujours les mêmes enfants devant les yeux… C’est dommage, mais ce n’est pas si gênant que ça, et après tout, notre attachement aux héros de Stranger Things peut bien résister à cet effort de croyance !
Sinon, il est clair que Ross et Matt Duffer ont décidé de tout changer dans leur série ! D’abord, et ça se ressent, le format : avec des durées d’épisodes s’approchant des 90 minutes caractéristiques du film de cinéma, chaque épisode ressemble maintenant à un long métrage. Mieux encore, il y a dans la mise en scène des sept épisodes de cette « première partie » de la quatrième saison une sorte de sérieux qui tranche clairement avec le goût pour la démonstration de savoir-faire et l’exercice de style qui pouvait s’avérer irritant jusqu’alors : avec l’aide de deux réalisateurs comme le talentueux Nimrod Antal (primé à Cannes en 2004) et le très expérimenté Shawn Levy, également producteur de franchises populaires, il est clair que l’on cible ici plus les standards du blockbuster hollywoodien classique que le format télévisuel.
En abandonnant largement le domaine de la SF, et en choisissant un mélange d’horreur (on a le droit de penser régulièrement à Fear Street, que le scénario de cette quatrième saison évoque) et d’action (en particulier pour la partie « soviétique » de l’histoire ainsi que la guerre entre les deux mystérieuses organisations qui essaient toutes deux de mettre la main sur Eleven, sorte d’arme ultime dont rêvent les Etats-Unis), Stranger Things prend une autre voie, qui rafraîchit le concept de base et ravive notre intérêt émoussé au fil des ans.
Mais, et nombre de fans trouveront que c’est le plus important, Stranger Things avance (enfin !) un peu plus sur le fond de son sujet, à savoir la nature de l’upside down. Même si l’on n’aura pas encore de réponses concrètes pour l’instant (en attendant les deux épisodes finaux dont on espère beaucoup…), il est clairement passionnant de mieux explorer le concept de passages entre notre monde et celui, inversé, des monstres, de revenir sur le passé d’Eleven, pour comprendre ce qui a bien pu se passer dans ce mystérieux laboratoire où elle a été créée. Et surtout, le septième épisode, brillant, nous propose un joli tour de force scénaristique (était-ce dans la tête des Duffer Brothers depuis le début ?) en liant les différents fils de l’histoire. C’est là une vraie et excellente surprise !
Du point de vue « politique » (car Stranger things a quelque chose de plus « sérieux » désormais, on l’a dit…) il est intéressant de voir la série approfondir le thème – important car de plus en plus d’actualité – du fascisme qui se dissimule derrière la normalité apparente d’une société bien lisse – et la facilité avec laquelle la violence, attisée par la peur, naît dans le creuset de la religion et de la bien-pensance, et ce même au cœur de la riche Californie où Eleven est exilée : rien d’original, certes, mais c’est important de le dire et de le répéter.
Bien sûr, Stranger Things pousse le bouchon bien trop loin avec les aventures de Hopper au goulag (avec un petit côté amusant de Tintin au Pays des Soviets, peut-être ?) dont la crédibilité est proche du zéro absolu : reste que notre sympathie pour le personnage, délicieusement interprété par un David Harbour qui se délecte de pouvoir se transformer en improbable Rambo, et le charisme de l’excellent acteur allemand Tom Wlaschiha dans le rôle d’un improbable gardien / traître / allié de Hopper, font facilement passer la pilule un peu amère du grand n’importe quoi.
Les deux derniers épisodes, qui seront mis en ligne le 1er juillet, seront évidemment décisifs, même si une cinquième saison est d’ores et déjà prévue.
Eric Debarnot