Concluant l’ambitieuse fresque historique dressée par Emile Bravo, le quatrième tome de l’Espoir Malgré Tout est une belle – et courte – conclusion qui nourrira, une dernière fois, bien des réflexions.
Avouons d’entrée que les débuts de l’ambitieuse épopée d’Emile Bravo, l’Espoir Malgré Tout, nous avaient parfois gênés aux entournures. L’idée de départ était formidable, poursuivant sur la lignée de l’excellentissime Journal d’un Ingénu, pourtant initialement conçu comme un one shot : nous offrir une version réaliste et quand même plutôt « pour adultes », même si aujourd’hui le marketing parle d’une œuvre à lire à partir de 9 ans, des « débuts » de l’un des plus inoxydables héros de la BD franco-belge, devant affronter non pas d’imaginaires savants ou dictateurs fous, mais la bien réelle invasion allemande, et ses conséquences tragiques. Arrêt des activités professionnelles et difficultés financières quotidiennes croissantes, choix individuel entre résistance (naissante) et collaboration (assez vite généralisée), disparition des amis juifs… Bravo décrivait dès le premier tome (de fait le second volume de sa saga) de manière très minutieuse l’accumulation de conflits moraux, éthiques, politiques… typiques d’une telle époque troublée. En opposant la vision hautement humaniste de Spirou aux décisions à l’emporte pièces et régulièrement contestables d’un Fantasio opportuniste, Bravo nourrissait les aventures de nos deux héros en pleine débâcle de pistes de réflexion aussi riches que régulièrement malaisante.
Emile Bravo n’a jamais fait de mystère de ses intentions d’effectuer un véritable « travail de mémoire » dans un monde comme le nôtre qui oublie bien trop vite les leçons du passé (comme l’ont démontré en France les récentes tentatives de réhabiliter un Pétain !). Il n’a jamais eu peur non plus, au risque de déranger son lecteur et de s’attirer des critiques, de positionner l’Espoir Malgré Tout comme un récit moral, voir moralisateur. Pour Bravo, comme pour Spirou, le chemin du Bien est clair : par exemple, dans ce Une Fin et Un Nouveau Départ, il est impensable d’abattre un tout jeune soldat allemand recruté de force dans la Wehrmacht alors que la guerre – du moins en Belgique – touche à sa fin. Ce qui est complexe, ce sont les conséquences de ce type de choix au milieu du chaos ambiant où les arrangements avec la vérité, avec la morale, semblent omniprésents. Et indispensables à la survie de chacun.
Ce quatrième et dernier volume nous décrit la défaite allemande, et la libération de la Belgique, de Bruxelles en particulier par les Anglais… qui s’avère tout sauf un retour à la normale : règlements de comptes, mensonges et hypocrisie à la pelle pour paraître avoir été du côté des vainqueurs, vol des biens des juifs déportés, la Belgique libérée semble toujours être un endroit horrible, et un terrain miné pour quiconque essaie de (sur)vivre avec un minimum de principes. Les détracteurs du travail de Bravo, et ils sont nombreux, moqueront à nouveau le côté donneur de leçons du petit groom, qui semble parfois ne faire que représenter le point de vue de l’auteur, justifiant des péripéties calibrées pour provoquer notre indignation. L’Espoir Malgré Tout, leçon d’histoire, n’échappe pas à la tentation de tout raconter, de tout montrer, de ne rien laisser caché des vilenies humaines, afin qu’elles ne se répètent plus.
Même s’il ne s’agit cette fois que d’une conclusion (augmentée d’un épilogue…) du récit, et que le lecteur avide de nouvelles péripéties sera peut-être déçu (d’autant que ce quatrième volume est bien plus court que les précédents), voilà évidemment une lecture indispensable, ne serait-ce que du fait de la toujours magnifique maîtrise par Bravo d’un style graphique rappelant Jijé. Au fil des pages, l’émotion est venue peu à peu, intense : tant de précieuses vies ont été détruites, tant d’horreurs ont été commises, et il est si triste de constater que le monde d’avant a définitivement sombré. Pire, le fameux monde d’après – cette horrible expression à la mode, mensongère et hypocrite – ne vaut pas mieux. Pourtant, il faut bien continuer.
C’est la dernière leçon du professeur Bravo, et sans doute la plus importante.
Eric Debarnot