Le pianiste rennais Melaine Dalibert est revenu à la fin de cet hiver 2022 avec le superbe Shimmering édité dans la collection indispensable Mind Travels, sous catalogue du label Ici D’Ailleurs. On a déjà longuement évoqué ici et là les productions exigeantes et souvent passionnantes proposées par cette collection. C’est à un échange passionnant que nous vous invitons avec un compositeur dont l’œuvre est en constante progression, en constante évolution entre geste radical et tension plus généreuse. Un artiste qui refuse les étiquettes néo-classiques ou contemporaine comme pour mieux nourrir sa singularité.
Melaine Dalibert, vous venez de sortir chez Ici D’Ailleurs dans la collection Mind Travels Shimmering. Quand on cherche des informations pour qualifier votre travail, ce qui revient souvent ce sont les termes de (hyper)activiste et de passeur. Comment comprenez-vous cette description ?
Melaine Dalibert : Cette description que me prête mon ami musicien et journaliste David Sanson peut dessiner un peu mon caractère d’homme un peu hyperactif dans la mesure où je m’occupe à la fois d’écrire ma musique, de jouer aussi celle des autres. C’est peut-être en cela que l’on peut me qualifier de passeur car j’essaie de transmettre la musique des autres créateurs. J’enseigne également le piano au conservatoire de Rennes, cette activité pédagogique fait pleinement partie de mon rapport à la musique qui est fait de partages. Je m’occupe également de l’organisation du festival Autres Mesures à Rennes ; tout cela mené de front avec une vie de famille nombreuse et de coureur de fond fait que je peux passer pour quelqu’un d’un peu occupé aux yeux de certains de mes amis. C’est ma manière de fonctionner, un peu à la surcharge.
Pour revenir à cette notion de « passeur », je considère que tout acte de création musicale ou artistique de manière plus générale s’inscrit dans l’histoire. La musique que j’écris ne serait sans doute pas possible sans tous les courants qui l’ont précédé. Un fruit artistique est toujours lié à l’époque qui l’a vu naître. Je pense que l’on peut tous se considérer comme des passeurs ou plutôt des témoins de notre temps.
Shimmering est votre premier disque sorti chez Ici D’Ailleurs et plus précisément dans leur collection Mind Travels. Si je vous dis que l’on perçoit dans la volonté éditoriale de Mind Travels une envie d’exigence et de se refuser à une paresse de vocabulaire de celles que l’on peut entendre dans nombre de disques dits néo-classiques, êtes-vous d’accord avec cette perception ?
Melaine Dalibert : Oui, absolument car ce label et cette collection par extension sont tenus par des gens (Stéphane Grégoire et Louis-Victor Bridey) de goût et de curiosité, des esthètes qui ne s’enferment pas dans l’idée marchande de ce que devrait être une maison de disques. Ils font des disques pour défendre la musique qu’ils aiment tout simplement. En partant de ce parti pris, les choix éditoriaux qui s’opèrent sont liés plus à la recherche de personnalités singulières.
Pour revenir à cette notion néo-classique, je la considère avec beaucoup de distance ; elle me laisse plus penser à une volonté à vouloir classer tel ou tel genre dans les rayons, à mettre des étiquettes. Cette étiquette néo-classique, je ne l’arbore pas avec un plaisir particulier, je trouve le terme assez réducteur et connoté de manière assez conservatrice. On pourrait traduire cette notion de néo-classique par une sorte de nouvelle simplicité mais en réalité je pense que même dans des courants qui ont des apparences plus sophistiquées, les compositeurs de valeur cherchent toujours le geste le plus direct, le plus élégant – c’est-à-dire simple – pour parvenir à l’expression.
Ce qui distingue peut-être votre musique par exemple d’un certain courant néo-classique, c’est cette volonté utilitariste que l’on perçoit clairement chez certains des auteurs de cette scène. Ce qui quelque part les met en totale contradiction avec la théorie à la base du courant Ambient par Brian Eno qui voulait échapper dans le domaine instrumental au seul axe utilitariste de la Muzak par exemple. On a l’impression à l’écoute de certains de ces musiciens qui se réclament un peu de l’héritage d’Eno d’un serpent qui se mord la queue avec par exemple ces playlists sur les listes de streaming, playlists pour travailler, dormir et se relaxer (etc). Craignez-vous que la musique devienne productiviste ?
Melaine Dalibert : Je n’ai pas de crainte à proprement parler mais c’est vrai que c’est un phénomène que l’on observe. Cette notion de « Music For » que l’on a vu fleurir dans les années 70 est toujours d’actualité à travers les sites de streaming. On rejoint l’idée du rayonnage dont je parlais précédemment, de classer des produits et de les présenter à des acheteurs. Je fais également cette distinction entre la Muzak et la musique dite Ambient dans cette volonté utilitariste et fonctionnelle. Je n’ai pas vraiment de raisonnement critique sur ce sujet car c’est une notion qui a été largement débattue depuis John Cage qui disait que la musique était vraiment là où l’auditeur décidait de la trouver. Cela peut aussi bien être les sons de la nature que le bruit de la pluie contre la vitre. La musique est avant tout dans la tête de l’auditeur. Vous évoquez Brian Eno considéré à juste titre comme père fondateur du courant Ambient, je pense qu’il était très loin dans sa démarche de faire une musique seulement plaisante et d’occupation, ce que Satie avec beaucoup de profondeur appelait Musiques d’ameublement. Avec Satie, on est déjà dans la vision de John Cage. Brian Eno est un véritable expérimentateur qui a cherché, par ses processus d’écriture, par du déphasing, du patchwork de patterns, à se laisser surprendre par la musique, à créer une musique de la nature que l’on pourrait contempler comme un beau paysage.
J’ai une anecdote en mémoire, je me rappelle de ma surprise en lisant un communiqué de presse qui accompagnait la sortie d’un album d’un pianiste solo où ce musicien se disait très fier d’intégrer une playlist Spotify de « Relax Piano ». Ne serait-ce pas encore un argument en faveur de cette musique devenue productiviste ?
Melaine Dalibert : On ne va pas se mentir, avoir ce genre de fierté, c’est d’abord une question d’ego. Ces playlists sont devenues un véritable business et une source d’éclairage important pour un musicien. Alors, bien sûr, quand on intègre des playlists éditoriales, on en tire une certaine gratification. C’est un plaisir momentané dont il faut reconnaître la futilité, ce n’est pas une fin en soi. Ce plaisir pour quelqu’un qui compose de la musique doit d’abord se trouver dans la finalisation de sa pièce. Je crois pouvoir dire qu’être satisfait d’une pièce musicale écrite est en soi un véritable défi.
C’est Gilles Deleuze qui disait : Que se passe-t-il lorsqu’on dit : « Tiens, j’ai une idée » ? Parce que, d’une part, tout le monde sait bien qu’avoir une idée, c’est un évènement qui arrive rarement, c’est une espèce de fête, peu courante.
La satisfaction première se situe là dans l’émergence d’une musique créée par soi dont on peut être heureux.
Comment expliquez-vous l’engouement des disques de piano solo depuis les années 2000 ? Certes, cela avait déjà débuté dans les années 70 avec Keith Jarrett mais on sent une accélération de ce succès depuis le début des années 2000. Le piano solo est devenu un genre en soi.
Melaine Dalibert : Je ne sais pas à vrai dire si ce courant est en accélération ou décélération. Ce qui est sûr c’est qu’il est manifeste. On a vu l’émergence de nombreuses figures. Le piano a pour lui dans son caractère profond cette capacité de donner une musique assez complète. C’est un instrument solistique avec peut-être une certaine vision d’une écologie musicale. Je crois que l’on associe un peu vulgairement cette musique pour piano à quelque chose d’un peu décroissant, un instrument qui propose une musique qui se suffit à elle-même, c’est quelque chose un peu dans l’air du temps, d’avoir une écoute un peu moins sollicitée, ou plutôt « ramassée ». Le goût du jour revient souvent vers des formules du passé. C’est souvent des questions générationnelles qui tournent le dos presque de manière réactionnaire à l’époque précédente. On sait que l’époque romantique a fait suite à l’époque classique et les modernes se sont finalement réintéressés au mouvement classique.
Et puis l’arrivée d’Internet a clairement bousculé les cloisons entre les genres mais aussi les questions de temporalité. C’est Sylvain Chauveau qui dit souvent que l’on est dans une époque du « Post Everything. ». D’un simple clic, on peut avoir accès à tout, ce qui brouille beaucoup les notions de temporalité. Nous sommes aujourd’hui dans une sorte de post-modernité joyeuse où l’on peut faire feu de tout bois, que l’on ressuscite un romantisme à la Chopin même s’il y a un immense fossé entre les musiciens qui essaient de faire du Chopin aujourd’hui et l’œuvre du Maître. Je ne citerai pas de noms, vous les reconnaitrez (rires). Je crois que l’idée progressiste dans l’art est un leurre. On n’est pas dans un progrès artistique mais plutôt dans un perpétuel va et vient, on fait des références à toutes les époques et c’est très bien ainsi.
Quel regard portez-vous sur la scène néo-classique actuelle et que pensez-vous de cette idée de vouloir faire se rencontrer les codes de la pop avec ceux de la musique savante ? Est-ce une manière de lever une appréhension pour un public un peu frileux ou pensez-vous qu’il y a dans cette hybridation la possibilité de nouveaux champs d’exploration ?
Melaine Dalibert : A mon humble avis, tout étiquetage de la musique est réducteur et je prends beaucoup de distance avec le terme « néo-classique ». À vrai dire, j’écoute très peu les musiques que l’on classe dans ce rayon, car souvent elles sont limitées dans leur expression à certains codes. Ce qui compte pour moi, c’est justement de me sentir libre et de ne pas appartenir à une chapelle. Ce qui m’interpelle dans la pop, c’est la question du format et cette saisissante alchimie : c’est toujours la même histoire de quelques accords, et pourtant on ne s’en lasse pas, ça laisse la place au son.
De tous les musiciens de cette scène dite néo-classique, voyez-vous un musicien qui propose une identité réellement singulière ?
Melaine Dalibert : Je ne sais pas s’il serait très heureux qu’on l’intègre à cette scène néo-classique mais un musicien comme Sylvain Chauveau a trouvé un certain équilibre entre une simplicité et une couleur Pop qui est très juste. Je trouve que Sylvain a vraiment trouvé un territoire singulier. Je pourrais également citer Peter Broderick qui a trouvé comme Sylvain Chauveau un lieu vraiment personnel. Je trouve que par exemple son disque de 2007, Docile est un album pour piano solo vraiment réussi. Je pourrai bien sûr citer Ryuichi Sakamoto qui n’a sans doute jamais voulu être considéré comme un néo-classique.
Comment s’est faîte la connexion avec le label de Stéphane Grégoire ?
Melaine Dalibert : C’est par des connaissances communes, Sylvain Chauveau en particulier avec qui je collabore au sein de l’Ensemble O. Je connaissais déjà les productions du label bien sûr par les travaux de Yann Tiersen ou de Matt Elliott. Par l’album « Elpmas » de Moondog interprété par l’Ensemble 0 dont je fais partie. Il m’a semblé naturel au moment où je cherchais un premier label en France de solliciter Ici D’Ailleurs. Et puis mon parcours musical est un peu flottant, j’ai grandi dans une famille baignée dans le Rock et le Folk. J’ai grandi avec ces sonorités, et quelques figures du Classique. C’est mon parcours dans les écoles de musique qui a achevé de constituer une culture plus classique.
C’est revenu avec beaucoup de force à l’âge adulte après avoir passé des années de travail à affiner mon approche et ma technique d’instrumentiste : comprendre qu’il n’y avait pas à renier des émotions ressenties à l’écoute de musiques à priori plus « légères » que la musique écrite ou dite savante. Ce n’est pas le genre qui fait la bonne ou la mauvaise musique, c’est la sincérité, la nécessité du musicien. Cela me semblait important de trouver un label qui défende cette vision et je crois qu’Ici D’ailleurs fait partie de cette catégorie de maisons de disques. Ici D’ailleurs est un label qui ne cède jamais aux facilités et dans lequel je me retrouve au niveau des valeurs.
On a l’impression de disque en disque que vous délaissez l’abstraction pour tendre toujours plus vers la simplicité. Ne peut-on pas dire que le maître mot dans votre approche de la composition serait un certain sens de l’économie ?
Melaine Dalibert : En fait, je ne suis pas certain d’aller vers davantage de simplicité, je veux dire que cela soit une tendance. Mes premières compositions algorithmiques par exemple, pourraient difficilement être plus épurées. Je crois effectivement être dans une quête d’économie, de ne pas rajouter quoique ce soit de superflu. C’est une obsession chez moi qui se trouve aussi bien quand j’écris une musique avec des algorithmes ou alors quand je me laisse aller à une écriture plus intuitive comme avec les pièces de Shimmering. Je ne pense pas céder à la virtuosité facile. Je ne m’interdis pas de faire une musique avec beaucoup de notes. Certaines de mes pièces peuvent être assez chargées mais j’essaie que cela soit à des fins expressives. Je ne ressens pas le besoin impérieux de remplir la page, j’ai plutôt un esprit de synthèse et de simplification.
Quand on parle de votre approche de la composition, revient toujours cette notion de composition algorithmique. Ce serait quoi pour vous la composition algorithmique Melaine Dalibert ?
Melaine Dalibert : Il faut commencer par expliquer ce qu’est un algorithme. Ce n’est pas forcément un programme d’ordinateur. D’ailleurs, si j’ai programmé au cours de mon adolescence, ce qui me fascinait beaucoup, je ne me sers jamais de l’ordinateur pour écrire ma musique. Quand je parle d’algorithme, il s’agit de suites d’opérations que je fais avec un crayon et un bout de papier. Je me sers de formules mathématiques qui sont dérivées des fractales qui me permettent par opérations successives d’autogénérer une musique. Pour donner une image plus illustrative, on sait que quand on fait des jeux vidéos, si on veut synthétiser des paysages, on emploie des algorithmes pour créer ces paysages imaginaires qui ne sont rien de plus que des modélisations informatiques. Je crée des suites d’opérations qui créent des paysages sonores. Les algorithmes sont des opérations de l’esprit que l’on utilise depuis la nuit des temps dans la vie quotidienne. Les enfants, à l’école dans les petites classes, font des algorithmes quand on leur explique qu’ils vont enchaîner des perles, mettre une verte, une jaune et une bleue…
Le but d’un algorithme c’est de résoudre un problème que l’on se pose. Lorsque Bach écrit un canon, lorsqu’il invente son sujet, un thème qui va devenir un canon, il est obligé de se poser la question de comment il va pouvoir se superposer à lui-même. Cela implique certains mouvements, certains qui marcheront, d’autres non. On peut dire que la pensée algorithmique est une pensée contrainte , en prévision d’un résultat attendu. Les algorithmes sont un peu partout dans notre vie, après c’est un terme qui est un peu de nos jours galvaudé et que l’on associe au Marketing et au ciblage informatique. Mais c’est bien sûr bien autre chose.
Quand on regarde de loin cette notion de composition algorithmique, on peut s’en faire une image absolument faussée de musique composée sous le filtre froid de la science. Pourtant, quand on écoute vos disques, on y entend une volonté de laisser une sensibilité s’exprimer bien plus qu’une virtuosité d’instrumentiste. Qu’en pensez-vous ?
Melaine Dalibert : Il faut bien comprendre que pour moi l’algorithme n’est pas une fin en soi. C’est l’outil qui permet d’arriver à une fin expressive. La musique naît d’un geste expressif et je me sers d’algorithme car c’est la solution que j’ai trouvée, pour certaines de mes pièces, pour créer des musiques-paysages. Au début, quand l’idée d’une musique me vient, ce n’est jamais une suite de nombres qui me vient à l’esprit, c’est d’abord une représentation poétique que je vais ensuite formaliser à l’aide de modèles mathématiques dans certains cas. Je ne parle pas ici de Shimmering. En outre, je considère au contraire que les esprits scientifiques ne sont pas des esprits froids, ce sont des personnes qui cherchent et qui sont très souvent en proie au doute. Je pense que faire de la recherche scientifique, artistique, littéraire ou musicale, relève de dispositions qui sont très proches. Ce ne sont pas des domaines qui s’opposent, mais qui se complètent.
Finalement travailler à partir d’une composition algorithmique ce serait plus de s’appuyer sur le hasard dans le processus créatif plus que sur la seule volonté créative ?
Melaine Dalibert : Je préfère la notion de surprise au hasard dans lequel je ne crois guère dans le processus de composition. Quand je conçois un algorithme, en gérant les paramètres de cet algorithme, je vais donner une coloration, un caractère, un comportement à la pièce qui va être générée. Par contre, ce qui est certain, si je peux définir le caractère global dans le détail, l’avènement de la musique va m’échapper quelque peu. Je vais laisser courir le programme et il va se produire au cours du temps des phénomènes qui échappent à ma propre volonté. C’est cela qui me semblait intéressant avec cette manière de procéder. Je le fais avec les algorithmes mais d’autres compositeurs le font avec le Field Recording.
Quand on décide de faire une musique en posant le micro à un endroit, on va capter des choses que l’on n’avait pas forcément prévues. De la même façon, lorsqu’un compositeur comme Steve Reich fait ses dephasings un peu par accident, il se rend compte que lorsque deux bandes se décalent légèrement dans le temps, cela provoque des mouvements très complexes par la superposition de deux choses très simples mais leur décalage provoque une musique qui est très surprenante. C’est aussi une manière de produire ou de provoquer de la surprise. C’est un peu comme faire sortir une musique de sa cage comme on libèrerait un oiseau. On laisse la possibilité à des choses d’émerger, des choses que l’on n’avait pas prévues et que l’on n’avait même pas entendues complètement. Cela crée une position d’écoute que je trouve parfaitement intéressante. On s’autorise à être surpris par son propre geste créatif. Je n’emploie pas le terme de hasard car je trouve que c’est un terme très ambigu. Pour certains le hasard n’existe pas. Pour moi, le hasard c’est ce qui échappe à notre capacité d’analyse. Un accident ou plutôt un évènement non-prévu que l’on va attribuer au hasard, si on s’intéresse au déroulement des choses, on sait qu’il y a toujours une cause. On parle par exemple de l’effet Papillon, comme la chaîne d’évènements qui aboutissent à une conséquence ultime, que notre esprit ne peut pas relier à sa première cause.
Le hasard pour moi, c’est cette limite que l’on a à comprendre les choses dans leurs moindres causalités. Employer le hasard dans le processus créatif qui correspondrait à jeter des dès et à suivre leurs décisions, en laissant une sorte de chaos absolu s’emparer de tout, ce serait abdiquer les choix. Il me semble que lorsqu’on décide de créer une œuvre musicale, il y a nécessairement des choix opérés, il faudra établir des paramètres et créer un cadre. Le hasard comme outil, cela peut être intéressant mais cela ne doit être qu’à une certaine proportion. Je suis par exemple très sensible à l’œuvre de l’artiste Vera Molnár, elle a trouvé un titre absolument génial dans une de ses œuvres qui s’appelle 1% de désordre. Elle nous présente des choses qui sont très identifiables, des suites de carrés concentriques. On observe quelque chose de très construit qui n’a rien à voir avec le hasard mais elle va par contre introduire un peu de chaos sa construction. L’alignement ne sera pas toujours ordonné mais de temps en temps il y a un petit moment de bascule, et là si on utilise un tout petit peu de désordre dans quelque chose de très ordonné, il y a une vibration qui s’opère, elle appelle cela un « évènement plastique ». D’un coup, il se produit quelque chose qui attire l’œil et je crois que c’est pareil en musique.
C’est un peu comme dans les formules répétées, un pattern que l’on fait tourner et que l’on joue avec toute l’imperfection du geste humain, des petites variations très sensibles font que cela n’est jamais répétée de la même manière : là, quelque part le hasard intervient. La musique, quand elle est jouée en direct, intègre toujours un environnement et par essence tous les évènements qui peuvent se produire. En cela, il faut savoir accueillir le hasard dans la musique mais cela ne peut pas pour moi être un parti pris de construction.
Shimmering est sorti le 25 mars 2022 dans la collection Mind Travels, sous-catalogue du label Ici D’Ailleurs.
Un grand merci à Jean-Philippe Béraud et à Stéphane Grégoire pour l’organisation de cet échange.