Après une introduction brillantissime de Lescop et son nouveau groupe, Serpent, nous avons célébré allègrement la résistance du stadium rock des années 80 avec des White Lies qui ont quand même un paquet de très bonnes chansons…
White Lies, voilà un nom qu’il vaut mieux ne pas prononcer devant un amateur éclairé de musique, tant on risque l’anathème. Et c’est presque compréhensible, tant les débuts du groupe d’Ealing, en 2008, sous l’ombre écrasante de Joy Division, avaient été déprimants : tendance lourde à la grandiloquence, paroles chargées en clichés, ce pauvre Ian Curtis devait se retourner dans sa tombe en contemplant avec consternation ces disciples-là. Et puis le temps a passé et White Lies ont changé. Leur dernier album, As I Try Not to Fall Apart, est très plaisant, plus pop, plus entraînant, même si les préoccupations existentielles assez sombres du groupe demeurent. Qui oserait dire que tout artiste ne mérite pas une seconde chance ? Nous voilà donc en ce premier jour de canicule précoce devant le Trabendo, alors que la majorité de nos amis mélomanes ont préféré l’Olympia avec les Dandy Warhols ou la Cigale avec Sharon Van Etten.
Il est 20 heures et alors que la température monte inexorablement dans un Trabendo qui se remplit, les Parisiens de Serpent vont nous mettre une belle claque : avec d’incontournables accents Talking Heads – un groupe extraordinaire, rappelons-le, ayant inspiré finalement peu de successeurs -, un zeste de Devo dans un chant vaguement névrotique, mais une dureté de ton qui les distingue clairement, Serpent vont séduire le public en deux chansons seulement : des chansons impeccables, qui savent monter en puissance en quelques secondes pour approcher l’hystérie (une hystérie qui nous sera refusée ce soir, le public n’étant pas venu pour ça…). A leur tête, l’excellent Lescop, qui avait officié auparavant dans le groupe Asyl, puis en solo, mais il serait injuste de ne pas saluer le brio des deux guitaristes, la frappe du batteur ou le groove du bassiste. Chaque chanson est instantanément accrocheuse, chaque hook de guitare a son impact, les musiciens déploient une énergie folle et semblent aussi beaucoup s’amuser : bref, c’est tout ce qu’on attend d’un bon concert de rock, et au bout d’une demi-heure, alors que Serpent prouvent sur un ébouriffant Cold Sweat qu’ils peuvent aussi aisément aller vers le garage rock qu’ils ont su nous faire danser intelligemment avant, on n’a franchement pas envie qu’ils arrêtent. A revoir très vite.
21h05 : le Trabendo est bondé maintenant d’un public de fans – un public largement féminin – déjà extatique, et on sent que le trio de White Lies va être reçu comme les stars qu’ils ne sont pas vraiment, et que cela compensera certainement la difficulté d’avoir à succéder à une première partie aussi brillante que Serpent.
Trio ? Quatuor plutôt, les trois musiciens originaux étant soutenus par un claviériste au rôle prépondérant, vu l’importance des claviers dans la musique du groupe. Et si la musique de White Lies évoque plus aujourd’hui celle de The Killers, voire de The Cars dans les meilleurs moments, que la cold wave de Joy Division ou le post-punk ré-émulé de Editors ou Interpol, il y a des choses qui n’ont pas changé depuis la dernière fois que nous avons vu le groupe sur scène, il y a plus de dix ans : Harry McVeigh est toujours un chanteur limité qui peine à reproduire les vocaux des albums, mais il peut se dissimuler derrière un son énorme – digne d’un pur stadium rock, alors que nous sommes au Trabendo, bon sang ! Il reste aussi le même frontman embarrassé, visiblement peu à l’aise dans l’interaction avec le public : moins coincé aujourd’hui qu’à l’époque où il était un très jeune homme tiré à quatre épingles dans des costumes trop élégants, il reste à la peine quand il s’agit de bouger un minimum, et chacune de ses rares déclarations à son public (il répétera plusieurs fois qu’il est ravi d’être enfin là, ce soir, faisant référence au concert d’avril annulé pour cause de Brexit et blocage à la frontière) sonne terriblement forcée…
… Non que cette absence de charisme gêne d’aucune manière le public de White Lies, en transe dès l’intro surpuissante du classique Farewell to the Fairground. Il faut avouer que White Lies ont pas mal d’atouts dans leur jeu : en tout premier lieu des chansons excellentes, dans une veine 80’s qui ne semble pas s’épuiser, puisque les compositions du nouvel album sont encore meilleures, des chansons dont on apprécie de fredonner les mélodies accrocheuses, voire de brailler en chœur les refrains. Ensuite, une formidable section rythmique qui fait presque se soulever le toit du Trabendo, même si le gros gros son de la batterie a un côté très daté eighties, justement.
Difficile donc de ne pas passer un bon moment pendant cette heure et demie d’un set généreux en tubes, réussissant qui plus est à varier les ambiances puisque la désormais longue discographie du groupe le permet : on aurait presque l’impression d’être revenus trente ou quarante ans en arrière, quand le Rock était encore la musique de la jeunesse et remplissait les stades sans coup férir.
A notre goût, ce seront les nouvelles chansons qui seront les plus convaincantes (Step Outside, brillante, There Is No Cure For It, très rock, I Don’t Want to Go to Mars, superbe en conclusion…), mais, sans surprise, ce seront les vieux hymnes comme l’incontournable – et pénible, à notre avis – Death qui feront se lever tous les bras.
Conclusion : même si White Lies restent un cas compliqué, entre leur talent de compositeurs et leur difficulté à se transcender sur scène avec un format musical finalement très conventionnel, il est impossible de ne pas prendre un vrai plaisir devant ce rituel éternel du concert de Rock « classique ». Tiens, on aurait même pu allumer nos briquets (et pas nos portables), comme à la grande époque : mais White Lies ne jouent aucune ballade romantique (et c’est tout à leur honneur). Et il faisait beaucoup trop chaud pour ça, de toute façon !
Texte et photos : Eric Debarnot