Formidable réussite que cette rencontre en forme d’hommage à Astérix, mais aussi de réflexion pertinente sur la religion, la violence et le pouvoir : le Lapinot de Trondheim continue à nous éblouir !
Certains se souviennent que l’une des plus intéressantes particularités des Formidables Aventures de Lapinot – avant que la série ne devienne en quelque sorte une chronique rohmérienne de son époque et que notre héros aux longues oreilles et grands pieds ne décède tragiquement – était le fait que Trondheim balade ses personnages à travers les époques et les genres, sans aucune retenue ni aucun complexe : de l’hommage à Spirou (l’Accélérateur Atomique) aux aventures moyenâgeuses (Mildiou) en passant par le western (Blacktown) et par le fantastique (Walter), nous étions gâtés par un univers apparemment sans limites. Avec un Par Toutatis ! qui plonge Lapinot dans l’imaginaire de Goscinny et Uderzo, on s’attendait donc à une démarche similaire…
… mais il faut prendre au sérieux le sticker d’avertissement sur la couverture du fameux tome 6 des Nouvelles Aventures de Lapinot (fameux parce que mystérieusement escamoté dans la succession des parutions d’albums…), Par Toutatis ! « Ceci n’est pas un album d’Astérix… »… mais ça y ressemble tellement qu’on a le droit de s’y tromper : le scénario – avec le village gaulois menacé par un traître qui veut dérober le secret de la potion magique, se faisant passer cette fois pour une divinité -, les personnages – oui, ils sont tous là, respectant à la lettre les comportements imaginés par Goscinny et Uderzo, et en premier lieu Obélix, son amour des sangliers et son irritation si l’on remarque son embonpoint -, les péripéties habituelles – les baffes distribuées aux Romains dans la forêt, les pirates qui font les frais de l’histoire, etc. – et même la structure des cases, le rythme de la narration, et… la gamme de couleurs ! « … Parodix », car la démarche de Trondheim est tout sauf parodique : son admiration, visiblement sincère pour Astérix l’empêche clairement de tourner en dérision le petit héros mythique. De fait, qui n’aime pas Astérix (oui, il y a des amateurs de BDs qui n’aiment pas Astérix, on vous le jure !) ferait mieux de passer son chemin, tant le mimétisme est frappant…
Mais l’approche de Trondheim est bien plus passionnante que s’il se livrait à une « simple » parodie. Ce que l’univers d’Astérix lui permet de générer, c’est une réflexion des plus pertinentes sur les rapports entre réalité et fiction, en particulier – et au-delà de la parabole évidente sur la facilité avec laquelle la religion asservit les esprits – sur les sujets-clés que sont la violence et le pouvoir : car si chez Astérix, la distribution de gnons est sans relative conséquence sur la santé des victimes, Trondheim nous rappelle qu’une telle violence, dans notre réalité, serait bien plus sanglante, et… littéralement terrifiante. De la même manière, l’impact psychologique de la toute-puissance conférée par la potion magique de Panoramix serait, d’après Trondheim, bien plus nocif que Goscinny le supposait : la soif de pouvoir, la cupidité humaines sont telles que nul ne résisterait longtemps à son attrait. Il y a de ce fait, malgré l’accumulation de gags et de bons mots (OK / hoquet, Gérard Deux par Deux, etc. !), une noirceur bien typique de Trondheim qui se dégage de Par Toutatis !… Et ce n’est pas l’hilarante accumulation de gags sur la Bretagne dans la dernière partie du livre – qui, espérons-le, ne vexera aucun lecteur breton ! – qui y changera grand-chose…
PS : et comme dans les blockbusters hollywoodiens, restez bien après le générique / banquet final, il y a un dernier gag !
Eric Debarnot