Soirée « futur de l’Indie Rock » dans un Trabendo bien rempli d’une jeunesse exubérante, joyeuse, qui faisait plaisir à voir. Et si des doutes peuvent subsister quant à l’orientation musicale de Snail Mail comme de The Goon Sax, leur avenir est prometteur !
Alors que la canicule précoce qui a paralysé une bonne partie de la France ces trois derniers jours marque le pas, on peut sans crainte d’asphyxie aller s’entasser dans les salles de concert. Et au Trabendo en ce dimanche soir de second tour des élections, on peut voter pour Snail Mail – la grande révélation indie rock US aux dires de la critique spécialisée – ou pour The Goon Sax – l’excitant combo australien où officie ni plus ni moins que le fils de Robert Forster. Un double ticket excitant pour quiconque s’intéresse aux musiques d’aujourd’hui et de demain (… plutôt qu’à celles d’hier, qui rameutent toujours le maximum de public nostalgique…), une alternative crédible aux Rolling Blackouts CF qui passent à la Maro ce même soir… Avec en bonus, le plaisir d’être au milieu d’un public vraiment jeune dans la salle, un public aux tonalités LGBT, qui nous change agréablement des foules grisonnantes !
20h : Il est difficile de ne pas être impressionné par la haute stature de Louis Forster, et par sa ressemblance – et pas seulement vocale – avec son père, même si les petites tresses qui agrémentent sa coiffure le distinguent de l’aspect bien plus straight de ce cher Robert. Le trio Jones – Forster – Harrison, qui passera les 40 minutes du set de The Goon Sax à échanger leurs instruments, est complété par un claviériste-guitariste fort efficace lorsqu’il s’agit de faire grincer des accords agressifs.
La musique de The Goon Sax, est accueillie avec enthousiasme par une partie du public – en grande partie anglo-saxon, d’ailleurs – pourtant venu en masse pour Snail Mail. Elle est pourtant devenue plus dérangeante, jouant sur les déséquilibres, les dissonances, avec des parties vocales ne craignant pas la fausseté. L’héritage des Go-Betweens ou de l’école néo-zélandaise est toujours perceptible derrière certaines mélodies mélancoliques et catchy, derrière certaines rythmiques enlevées, mais The Goon Sax trace peu à peu un chemin différent, certainement moins confortable.
L’énergie du groupe est palpable, sa capacité à tirer vers le haut leur « pop à guitares », qui manque peut-être encore d’un peu de maturité, impressionne par instants. Mais par instants seulement, le concert manquant de cet enthousiasme que l’on est en droit d’attendre d’une jeune formation aussi prometteuse : les musiciens n’ont pas l’air particulièrement heureux de jouer ce soir (Louis se plaint de la chaleur, et de ne pas pouvoir porter sa veste qu’il s’est achetée pour l’occasion, mais on suppose qu’il s’agit d’humour…), et même si l’on remarque l’attention constante que Louis porte à Riley, et la complicité entre James et Louis, le set manquera de cette touche de vie qui lui permettrait de transcender l’inconfort créatif de la musique. Disons que ce n’était sans doute pas « un bon soir » pour The Goon Sax.
21h15 : le niveau d’excitation, ou au moins d’enthousiasme, est monté d’un cran pour Lindsey Jordan, petit bout de femme charismatique et déterminé, et son Snail Mail. Quand on constate que tout au long des 65 minutes du set, la quasi-totalité du public chantera, plus ou moins fort, la quasi-totalité des textes des chansons de Lindsey, on ne peut que ressentir un immense plaisir à retrouver la vénération que les vraies rock stars engendrent chez leur jeune public.
On nous pardonnera la comparaison, mais nous avons retrouvé ce soir au Trabendo le même genre de foi généreuse qui caractérise les sets juvéniles de Girl In Red par exemple, dans un style musical il est vrai bien différent. Et il faut rappeler qu’à la différence de Marie Ulven Ringheim, Lindsey s’est défendue de placer son homosexualité au centre de son discours, d’être la porte-parole d’un mouvement (… même si, inévitablement, toute une jeunesse se reconnaît dans ses textes !).
Les premiers mots du set seront : « Let’s go be alone / Where no one can see us, honey / Careful in that room / Those parasitic cameras, don’t they stop to stare at you? » (Allons être seules / Là où personne ne peut nous voir, chérie / Attention dans cette pièce / Ces caméras parasites ne s’arrêtent-elles pas pour te fixer ?) en intro de Valentine. Les derniers : « Don’t you like me for me? / Is there any better feeling than coming clean? / And I know myself and I’ll never love anyone else / I won’t love anyone else » (Tu ne m’aimes pas pour moi ? / Y a-t-il une meilleure sensation que celle de l’aveu ? / Et je me connais et je n’aimerai jamais personne d’autre / Je n’aimerai personne d’autre) sur le hit Pristine. Soit un trajet finalement logique de l’inconfort d’un monde où plus rien n’est invisible, protégé, et surtout pas la relation amoureuse, à la rassurante permanence de l’Amour. Soit de quoi parler directement au cœur de ce jeune public, homosexuel ou non, qui affronte chaque jour un environnement de plus en plus hostile.
Musicalement, le set est beaucoup plus surprenant quand on ne connaît que l’indie folk hautement émotionnel de l’album Valentine : rock, très rock même parfois, avec un groupe juvénile qui aime s’emporter, le concert de Snail Mail joue la carte de l’énergie avant tout… Et le chant de Lindsey, si particulier, s’apparente souvent à une sorte d’hululement animal, ou tout au moins viscéral, avec par moments des expérimentations vocales surprenantes. On se souvient alors que si Lindsey cite Elliott Smith ou Fiona Apple parmi ses influences, elle adore aussi Sonic Youth, My Bloody Valentine ou le Velvet. Bref, la musique de Snail Mail est, ce soir, très loin d’un folk féminin tablant sur la sensibilité et la finesse ! D’ailleurs, derrière les sourires que Lindsey dispense généreusement à son public, on voit régulièrement poindre l’artiste intransigeante, pas commode, rageant à propos de (petits) problèmes techniques empêchant à son avis son set d’être parfait.
Au milieu de cette heure et quelque d’électricité (Lindsey est une excellente guitariste et ses interventions solo impeccables) et de grimaces (la capacité de Lindsey à en faire est étonnante !), nous n’aurons droit qu’à deux chansons plus intimistes : Lindsey nous aura expliqué que, se sentant vaguement malade cet après-midi, elle n’était pas certaine de pouvoir jouer et chanter seule…
Au bout de ce set énergique, mais parfois un peu uniforme – ou le paraissant à nous qui ne connaissons pas tous les textes des chansons par cœur ! -, le cas Snail Mail est moins clair que nous l’espérions. Si le talent de Lindsey ne saurait être questionné, il est évident qu’elle n’a pas encore trouvé sa voie, musicalement. Mais, à 23 ans, comment le lui en faire le reproche ?
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot