S’il reste à prouver que le Rock’n’Roll peut encore sauver des vies en 2022, The Bobby Lees et The Schizophonics ont démontré haut la main qu’en terme de distribution de baffes, ils se posaient là. Deux des meilleurs groupes live actuels en une seule et même soirée : de la balle, bébé !
Ce soir, c’est assez exceptionnel pour le souligner, nous allons à la Maro sans avoir le moindre doute sur le fait que nous allons assister à ce qui sera forcément l’une des plus grandes soirées rock’n’roll de 2022 : déception impossible ! Car cette double affiche de The Schizophonics, l’une des plus grosses claques scéniques possibles, on le sait depuis leur dernier passage à Paris en 2019, et The Bobby Lees, certainement le combo « punk rock » (mais pas que…) le plus impressionnant surgi ces dernières années, est littéralement IMBATTABLE.
20h05 : Juste le temps de râler sur le fait qu’il n’y a pas eu assez de promotion quant à la présence de The Schizophonics ce soir à Paris (nombre de nos amis mélomanes n’étaient pas au courant !), et de discuter le bout de gras avec Pat Beers en se remémorant le formidable concert donné en 2019 à l’Astrolabe d’Orléans, et la folie commence. Au risque de répéter une affirmation qui tend à la formule et qui ne convaincra personne (tout au moins avant d’assister à un set du groupe, car IL FAUT LE VOIR POUR LE CROIRE !), Pat Beers, c’est quelque chose comme un Mick Jagger très énervé, qui voudrait concurrencer Iggy Pop, qui joue de la guitare comme Jimi Hendrix, et qui chante comme Rob Tyner ou comme James Brown, selon les morceaux. Avec lui, sa femme, Lety, qui officie derrière les fûts et porte la baraque, et un nouveau bassiste (il faut dire que les bassistes changent régulièrement !) qui s’avérera aussi convaincant que spectaculaire. La musique de The Schizophonics parcourt allègrement le spectre du rock US des sixties aux seventies, avec un accent garage qui remet tout ça au goût du jour, et, cerise sur le gâteau, des ambiances soul très réussies. Mais The Schizophonics reprennent aussi bien le classique Train Kept A Rollin’, dans une version qui ridiculise celle d’Aerosmith, le MC5 (Back to Comm), ce qui est logique, que Roxy Music (Remake Remodel), ce qui est plus surprenant.
Bien sûr, outre le jeu de guitare époustouflant de Pat, c’est l’énergie physique absolument surhumaine qu’il déploie – 1h05 de set déchaîné – qui a construit la légende de The Schizophonics : nous ne nous souvenons pas avoir jamais vu un guitariste faire des roulades sur scène tout en continuant à lancer des solos de guitare au napalm ! Quant à ses sauts et à ses grands écarts, ils nous font à chaque fois craindre pour sa santé…
A la fin, un ami qui le voyait pour la première fois en live a serré la main de Pat qui quittait la scène, et lui a déclaré : « Tu es le Jimi Hendrix des années 2020 ! ». Pas moins.
21h40 : On aurait tendance à penser qu’il est impossible pour quiconque de jouer après The Schizophonics, mais nous avons confiance en The Bobby Lees, la grosse, grosse découverte de ces deux dernières années, le groupe de punk rock le plus intense émotionnellement du moment. Et ce d’autant que, tandis que Pat et Lety revisitent le passé classique du Rock’n’Roll, The Bobby Lees jouent une musique bien différente, totalement ancrée dans la violence et le mal-être existentiel de 2022. Et la parution récente de leur excellentissime nouvel EP, Hollywood Junkyard, a prouvé qu’ils sont quasiment inégalables dans ce domaine.
« I left my love dyin’ / Somewhere down on the way / Stuck on that dead bus and then / Left in a desert way / I’ll never get it back, no never get back / My head after what I saw… » (J’ai laissé mon amour mourir / Quelque part sur la route / Coincé dans ce bus mort puis / Abandonné dans ce chemin désertique / Je ne le retrouverai jamais, je ne retouverai jamais / Ma tête après ce que j’ai vu…) : le texte sans pitié de Guttermilk, l’une des chansons les plus emblématiques de The Bobby Lees, résume parfaitement de quoi il retourne dans les chansons de l’impressionnante Sam Quartin : la difficulté de garder un minimum d’équilibre mental dans un monde de violence où tout ce qui nous importe finira détruit… pas moins ! Et quand elle chante, quand elle récite ses textes, quant elle hurle sa rage, Sam a le potentiel de devenir l’une des grandes icônes rock’n’roll de demain… même si sa souffrance est régulièrement perceptible sur scène, par exemple quand elle a besoin de s’isoler quelques secondes du chaos qui règne…
Bien entendu, la reprise killer de l’hymne – bien oublié – de Richard Hell, Blank Generation, et son texte remarquable (« I was sayin’ let me out of here before I was even born, it’s such a gamble when you get a face » – Je disais « laissez-moi sortir d’ici » avant même d’être né, c’est un tel pari quand vous recevez votre visage…) est une référence parfaite, même si trop peu de gens dans la salle la relèveront ! Et puis l’interprétation des titres de l’EP Hollywood Junkyard va encore faire monter le set en intensité : les deux chansons Hollywood Junkyard et Strange Days, peut-être les plus originales du groupe à date, démontrent sans aucune ambigüité la capacité du groupe à aller vers une musique plus ambitieuse, plus forte émotionnellement encore.
Par rapport aux albums, ce qui frappe en live, c’est la puissance incroyable du trio qui accompagne Sam : dans un esprit punk, ils offrent une musique finalement très proche du metal, qui a un impact radicalement destructeur sur l’ouïe et sur le cerveau de l’auditeur. Macky, derrière ses fûts, est un batteur spectaculairement efficace, radical dans sa frappe, mais la petite Kendall nous sort de sa basse un véritable tsunami : une telle rythmique est du pain bénit pour les éruptions solos de Nick et pour les vociférations de Sam. Ouaouh !
Conclusion parfaite du set sur un Be My Enemy dont on chante sans retenue le refrain belliqueux, avant le petit bonus de Ragged Way en rappel vite fait, l’horaire prévu étant dépassé…
Il est un peu plus de 22h30, et on sort de la Maroquinerie à moitié sonnés par cette double décharge de rock’n’roll extrémiste. Il sera difficile de raconter ça à ceux qui n’étaient pas là, mais on essaiera, comme à chaque fois qu’on on vit une soirée parfaite, comme celle-ci.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot