Après avoir été révélés grâce à leurs concerts particulièrement brutaux, The Bobby Lees viennent de sortir Hollywood Junkyard, un EP qui les voit passer à la vitesse supérieure. A l’occasion de leur passage par Paris, nous avons donc voulu les rencontrer.
Benzine : Si vous deviez définir les Bobby Lees à quelqu’un qui n’a jamais entendu parler de vous ou écouté votre musique, que diriez-vous ?
Sam : Je dirais que c’est une musique qui vient des tripes… mais je ne sais pas, je crois que suis très mauvaise quand il s’agit de décrire notre son.
Macky : Oui, je dirais la même chose. Mais en fait, ce sera quoi que ce soit que vous ressentez la première fois que vous l’écoutez, alors le mieux que vous ayez à faire, c’est de… l’écouter ! (rires)
Benzine : La plupart des gens appelleraient ça du punk rock, mais je suis d’accord que c’est autre chose, que c’est plus que ça. D’ailleurs, votre nouvel EP (Hollywood Junkyard) voit une nette évolution vers des chansons plus riches, plus complexes, plus émotionnellement impliquées, sans perdre l’énergie et la colère. J’imagine qu’il s’agit d’un geste volontaire…
Sam : Je crois que c’est arrivé de manière… organique. On ne s’est jamais assis tous ensemble pour dire « Ok, on va écrire quelque chose de différent… ». Finalement, la seule différence c’est le temps. Pour le disque qu’on a fait avec Jon Spencer, c’était très précipité, alors que cette fois, on a eu trois semaines en studio, ce qui est un vrai cadeau… Un luxe ! On a eu le temps de revisiter les chansons, d’essayer de nouvelles directions, d’expérimenter… comme avec Strange Days ou aussi d’autre chanson qui seront sur l’album, et qui sont dans un genre différent. Donc, le temps, oui…
Macky : … et le fait de grandir et de changer, ensemble, en tant que groupe de gens, a probablement eu un gros impact sur la musique, aussi, oui.
Sam : Oui, comme une famille…
Benzine : Comme vous êtes encore un groupe relativement nouveau, pouvez-vous nous parler un peu de votre histoire ? D’où venez-vous ?
Sam : Quand j’ai déménagé de la ville, on s’est rencontrés avec Macky et Kendall dans cet endroit qui s’appelle « The Rock Academy », c’est une « école de Rock ». Et on a joué avec différents guitaristes en 2017, on a fait le premier disque (Beauty Pageant), et puis j’ai rencontré Nick parce que leurs parents étaient ensemble… On est devenus presqu’une famille (rires). C’est venu très naturellement, et quand Nick a été là, on a senti que ça devenait vraiment solide. On s’est vraiment engagés là-dedans et on a commencé à tourner.
Benzine : Qui sont les artistes et les groupes qui vous ont influencé ?
Sam : On est tous très différents, de temps en temps, on se rencontre sur un truc… Macky, je crois que je connais tes goûts maintenant.
Macky : Oui, je suis un grand fan de PJ Harvey, j’aime Fishbone, Devo… et aussi le ska, The Specials, Madness, Desmond Dekker…
Nick : Je veux rajouter Blink 182, que tu n’as pas cité, Macky, alors que tu les AIMES vraiment.
Sam : Je ne les aime pas trop, moi. Ce qui me touche, c’est tout ce qui semble vraiment possédé, parcouru d’une sorte d’électricité, comme par exemple Little Richard, James Brown. J’aime aussi des trucs dont les autres rigolent, comme My Chemical Romance. Et Jack White, ce qui m’a fait connaître les choses que lui aime, comme Bo Diddley, Muddy Waters. J’ai appris à jouer de la guitare de la manière la plus simple possible, à la Bo Diddley, juste 2 ou 3 accords : c’est toujours comme ça que je joue, en fait.
Kendall : Moi, j’écoute surtout de la musique instrumentale, des BO de films, de la musique ambient, qui soit un fond sonore sans que j’y prête particulièrement attention. J’aime que la musique flotte autour de moi. Dans la dernière année à l’école de musique, on avait un projet à faire, et j’ai dit je voulais écrire la musique d’un film… Et bien que ce que j’ai fait n’était pas extraordinaire, j’ai appris à écrire de la musique, et j’ai développé une vraie passion pour ça. Je veux continuer à travailler dans cette direction dans le futur.
Benzine : Je vous vois bien comme Nick Cave, composer de la musique très émotionnelle, mais aussi écrire des musiques de films !
Kendall : Il y a plein de gens géniaux dans la musique de film, comme Danny Elfman…
Nick : Ennio Morricone ! Le meilleur de tous les temps !
Macky : Joe Hisaishi !!! Vangelis !!!
Sam : C’est le compositeur grec que tu m’as fait écouter ? Blade Runner ?
Benzine : Quelles sont les principales sources d’inspiration pour votre musique aujourd’hui ? Y a-t-il un impact sur votre musique de la situation politique / sociale ?
Sam : J’ai l’impression que le manque de contrôle que nous ressentons en ce moment entre en ligne de compte. Comme, par exemple avec la pandémie, on a écrit les chansons pendant ce temps, et quand on a pu tourner à nouveau, il y avait ce sentiment de vouloir aider, de vouloir contribuer, sans bien savoir comment… Quand tu vois quelque chose de vraiment « fucked up », tu te dis il faut que j’aide… Le minimum c’est de consacrer du temps à travailler sur tout ça… Bon, il y a des moments où j’ai envie de tout casser, mais après il faudra que je m’excuse, que je remplace tout ce que j’ai détruit… (rires).
Nick : La politique, c’est autre chose. Tout est devenu politique aujourd’hui, et on a perdu le contact avec « l’humanité ».
Sam : Ce qui est flippant aujourd’hui, c’est le conflit entre les gens qui pensent différemment… Moi, si je suis dans une pièce avec uniquement des gens qui pensent comme moi, j’ai l’impression de ne rien apprendre. On a tous des opinions assez différentes dans ce groupe, mais on est OK avec ça, on est ensemble. J’aime le fait qu’on ait créé un espace où ça soit possible.
Macky : Dans le monde d’aujourd’hui, avec des commentaires politiques permanent, les choses perdent leur sens…
Kendall : Tout est « monétisé », transformé en business…
Macky : … et même si tu es d’accord avec ce qui est dit, c’est souvent exprimé sans aucune forme de respect, et ça dévalue les idées.
Benzine : Quelle est, selon vous, la pertinence du rock’n’roll dans une société où d’autres types d’art ou d’activités attirent les jeunes ? Le rock’n’roll peut-il encore sauver des vies ?
Nick : Tant qu’il y a au moins une personne dans le monde qui aime la musique que tu fais, et qui est heureuse de l’écouter, c’est pertinent. C’est tout ce qui compte.
Sam : On a joué des concerts qui étaient mauvais, mais ensuite quelqu’un vient nous voir pour nous dire : « J’avais vraiment besoin de ça ! ». Ça me donne toute l’énergie dont j’ai besoin pour continuer, on est là pour s’aider les uns les autres.
Je ne sais pas si je dois utiliser ce terme « la musique que je fais, ce groupe, ça m’a sauvé la vie », mais je serais certainement régulièrement à l’hôpital et en train de prendre des médicaments si je n’avais pas la musique comme exutoire. J’ai eu plein de problèmes mentaux, mais depuis que je suis dans ce groupe, je n’ai pas eu besoin d’être… enfermée ! (rires) Lorsqu’on peut trouver comment exprimer ainsi toute son énergie, c’est un vrai cadeau…
Benzine : En fait, aujourd’hui que le Rock est marginalisé, je trouve qu’il y a une vérité, une qualité de la musique qui est plus grande qu’autrefois…
Sam : C’est aussi qu’on peut tout écouter facilement, donc faire un tri plus rapide entre ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Mais c’est vrai que les gens avec qui nous jouons, ils font de la musique parce que c’est une nécessité pour eux, et on entend la différence.
Kendall : On a aussi fait des concerts où les gens n’étaient pas venus pour nous découvrir, comme ce festival dans le Nevada, et tout le monde jouait de la country ou de la folk music… On s’est dit : « oh, oh… », et au final, les gens nous ont remercié de jouer des choses différentes. Ou quand on a ouvert pour Future Islands, devant un public qui n’est pas le nôtre, mais les gens ont aimé. C’est bien de voir ça, que ça touche les gens.
Benzine : Sam, la recherche de votre nom dans l’Internet Movie Database montre que vous êtes toujours active du côté du cinéma. Quels sont vos projets ? Comment se combinent-ils avec vos activités musicales ?
Sam : Je continue dans le cinéma d’Art et Essai, oui, mon partenaire est réalisateur, donc si je vois un projet intéressant, je suis partante. Le seul film que j’ai fait qui ne soit pas encore sorti s’appelle Candy Land, ça va sortir cet automne. On l’a fait à la fin de la pandémie, c’était fort. Kendall et Nick sont aussi venus participer, ils ont joué des petits rôles… C’est un film bien barré, l’histoire d’une jeune femme qui échappe à l’emprise d’une secte religieuse et rejoint un gang de prostituées pour camionneurs ! C’est assez sauvage, les gens commencent à mourir… (rires).
Mais la musique est mon activité principale, c’est là que je mets tout mon cœur, j’ai refusé des projets de films pour le groupe… J’aime néanmoins avoir l’opportunité de travailler avec des réalisateurs excitants…
Benzine : Comment voyez-vous le groupe progresser par rapport à ce que vous êtes aujourd’hui ? Quel serait votre plus grand rêve ?
Macky : Seulement être toujours capables de jouer, pas besoin de grand objectif, le bonheur c’est ça, ce que nous faisons maintenant…
Sam : Oui, je crois, juste avoir envie de progresser, de faire quelque chose de bien. De voir que le groupe devient meilleur. Si je regarde en arrière, je vois combien nous nous sommes améliorés. Alors, que ça continue comme ça !
Propos recueillis par Eric Debarnot le 22 juin 2022
The Bobby Lees sont : Macky Bowman – batterie, Nick Casa – guitare, Sam Quartin – chante et guitare, Kendall Wind – basse
The Bobby Lees viennent de sortir un nouvel EP, Hollywood Junkyard