Avec Decision to leave, Park Chan-wook revisite à sa façon l’histoire classique du flic tombant amoureux de la femme fatale accusée de la mort de son mari. Résultat : un désastre de toute beauté.
C’est peu dire que Decision to leave aiguisait les impatiences, flattait les appétits : retour au cinéma de Park Chan-wook après six ans d’absence (pendant lesquels il a réalisé une mini-série, The little drummer girl, et un court-métrage en mode iPhone), scénario aguicheur lorgnant du côté d’Hitchcock, de La veuve noire, de La fièvre au corps et de Basic instinct (rien que ça), promesse d’un thriller trouble et sophistiqué, et une sélection au festival de Cannes pour couronner le tout (où le film a remporté le prix de la mise en scène). Park entendait donc revisiter à sa façon l’histoire classique, sinon archétypale, du flic tombant amoureux de la femme fatale accusée de la mort de son mari, et ça s’annonçait tout simplement grand.
C’est peu dire, donc, mais on va le dire gentiment, en restant poli : Decision to leave est un désastre total. Un désastre de toute beauté, pour filer l’oxymore. Une débâcle qu’on n’a pas vu venir, narrative comme esthétique. Car rien, absolument rien ne fonctionne dans cet imbroglio de manipulations, de vérités et de passions folles que Park complexifie artificiellement jusqu’à le rendre à peine (jamais ?) passionnant. À peine ces enquêtes policières tordues où les natures se révèlent au-delà du langage et des faux-semblants ; à peine ces désirs fluctuants entre cet homme et cette femme que tout sépare ; à peine cet amour impossible se terminant dans le ressac du désespoir. Et puis sans charme, l’imbroglio. Sans venin. Terne.
Mais il y a pire. Pire parce que Park croit bon d’étirer et d’étirer encore son scénario sans que l’on en comprenne une seconde l’intérêt, tant de nombreuses scènes paraissent accessoires à l’intrigue, négligeables à sa compréhension. Néfaste à son idylle interdite se muant en amourette molle. Comme si Park n’avait pas su où s’arrêter, où couper, jugeant le peu ennemi du bien. Résultat ? On s’ennuie ferme, on pique du nez parfois, on s’en balance de ces deux-là qui s’aiment sans le pouvoir, voués à n’être que des âmes solitaires. Et on veut, par pitié, que ça se termine. Cette absence de tension dans les enjeux, aussi bien policiers que sentimentaux, nous sera épargnée lors d’un final tragique et romanesque en diable (à l’image de celui de Thirst), mais alors il est trop tard pour espérer croire qu’il changera la donne. Ou nous fera changer d’avis.
Quant à la mise en scène, et par quel mystère a-t-elle été récompensée à Cannes, elle est davantage tape-à-l’œil qu’élégante, qu’à ce que Park est capable de faire quand on le sent inspiré (Old boy, Stoker, Mademoiselle), multipliant ici les effets, certes généreux mais pas toujours opportuns, dans la réalisation et le montage sans véritable homogénéité, au détriment d’un récit mieux construit et, surtout, apte à nous toucher avec des personnages qu’on aurait souhaité plus charnels, plus incarnés (et ce malgré tout le talent de Tang Wei et de Park Hae-il). Parce qu’il y a pire, finalement, que l’imbroglio qui ne passionne pas, que ce scénario qui s’étire : c’est ne rien ressentir pour ces amants maudits que le destin empêche. C’est ne pas s’attacher à eux. Ne pas frémir avec eux, pour eux, si ce n’est, soudain, dans un ultime fracas de vagues et de regrets.
Michaël Pigé