Rebelle un jour, rebelle toujours. Anton Newcomb, régénéré par sa nouvelle vie berlinoise, retrouve la combativité de ses débuts, et nous offre un nouvel album très réussi…
Soyons francs, à l’époque où la guerre faisait rage entre les Dandy Warhols et The Brian Jonestown Massacre, c’est-à-dire en 2004 avec le fameux documentaire Dig, nous avons pris fait et cause pour les Dandy, qui nous ravissaient à chaque fois sur scène, et qui paraissaient tellement cools devant l’agressivité manifestée à leur égard par Anton Newcombe. Personne ne nous demandait d’ailleurs de choisir notre camp, mais nous l’avons fait. Et nous n’avons plus écouté un seul album de The Brian Jonestown Massacre, résistant obstinément aux conseils insistants de nos amis qui affirmaient vouloir notre bien. Choisir, c’est renoncer, non ?
Et puis le temps a passé, la guéguerre ridicule a été peu à peu oubliée, et même si les prestations live de Newcombe, ex-drogué notoire et déjanté convaincu, restent extrêmement questionnables – le passage du groupe au Festival Levitation leur a donné une fois de plus l’occasion de décevoir leurs fans -, nous nous sommes dit qu’il était grand temps d’enterrer la hache de guerre. Et Fire doesn’t grow on Trees, dix-neuvième album studio, quand même, publié sous l’étiquette BJM, qui plus est avec son chat mignon et son titre débile fièrement arborés sur une pochette bien laide, semblait se prêter à l’exercice de réconciliation. Et ce d’autant qu’Anton Newcombe avait une fois encore changé de musiciens, ce qui équivalait sans doute à une sorte de promesse de nouveau départ.
Et voilà que, paf ! Dès le premier titre, le réjouissant The Real, on est bien obligé d’admettre que, mince alors, voilà un type qui sait trousser une bonne chanson, que ça soit en termes de mélodie qui accroche dès la première écoute, d’ambiance véritablement psychédélique – alors que le psychédélisme est redevenu TRES à la mode, partout sur la planète – et de texte curieusement combattif : « No one said life would be fair / Though it helps if you’re aware / Fight the beast until it dies / Then raise your sword up to the sky » (Personne n’a dit que la vie serait juste / Bien que cela va t’aider si tu en es conscient / Combats la bête jusqu’à ce qu’elle meure / Puis lève ton épée vers le ciel).
Mais c’est avec le second titre, le redoutable Ineffable Mindfuck qu’on doit admettre que The Brian Jonestown Massacre, ça a non seulement de la gueule, mais aussi du souffle. Et que derrière le noise, on imagine rôder les fantômes splendides de vies perdues et de héros oubliés, pour toujours égarés dans des labyrinthes de stupéfiants. « There’s something in the air / Smell it everywhere, getting in your hair / It gets in your dreams, it’s in everything / And you can’t get clean, and it’s wrecked the scene » (Il y a quelque chose dans l’air / Sentez-le partout, ça rentre dans vos cheveux / Ça rentre dans vos rêves, c’est dans tout / Et vous ne pouvez pas vous nettoyer, et ça a tout détruit autour…). Mais non, Anton ne sombre ni dans la nostalgie, ni dans l’abattement : cet état des lieux alarmant ne l’empêche plus de prendre de bonnes résolutions, de se ressaisir et de prêcher une reprise en main de nos vies : « And you feel so free, this is where you should be / Being lost in sound, looking all around / Flying through the air, going everywhere / Everywhere you should be, anywhere that’s free » (Et tu te sens si libre, c’est là que tu devrais être / Être perdu dans le son, regarder tout autour / Voler dans les airs, aller partout / Partout où tu devrais être, partout où la liberté règne) ! Comme quoi, la vie à Berlin lui réussit, à Anton, et son éternel esprit de rébellion ressurgit de plus belle alors que l’on mentionnait à demi-mot une perte d’inspiration !
Avec ces deux titres déjà, notre bonheur serait acquis, mais le plus incroyable est qu’il y en a 8 autres aussi bons, voire meilleurs (peut-on humainement résister à une perle noire comme You Think I Am Joking? ?) qui suivent, sans qu’on perçoive un réel relâchement chez ce diable d’homme, à qui on n’aurait pourtant pas confié ni nos oreilles, ni notre peu de temps disponible. On nous raconte d’ailleurs que l’enregistrement de ces chansons aurait été totalement spontané, mais les petites imperfections en résultant sont insignifiantes en comparaison avec l’énergie et ce sens aigu de réelle créativité qui domine l’album. Oui, en dépit du fait que Newcombe ne s’éloigne jamais réellement vraiment de son territoire, de ses styles de prédilection, comme le shoegaze éternel de What’s In a Name?, c’est une belle impression de fraîcheur qui se dégage de ces chansons …
Jeunes rockers « psyché » de la planète, prenez garde à vous : le vieil Anton n’a pas lâché la rampe, et il est même dans une très grande forme. Non, on reprend : jeunes rockers « psyché » de la planète, écoutez ce bon Newcombe et prenez-en de la graine !
Eric Debarnot