Plus il vieillit, plus le grand James Ellroy semble devenir intraitable, excessif : son Panique Générale, qui traite des mœurs dissolues à Hollywood dans les années 50, est un voyage inconfortable vers des extrêmes dont on préférerait ignorer l’existence. A lire à vos risques et périls.
Panique Générale commence en un lieu inhabituel pour James Ellroy, une cellule du purgatoire située dans le Quartier de Professionnels de la Prédation, où croupit depuis 28 ans Freddy, un « salopard sournois qui a saigné un système cynique », à qui de « malins matons ont fait miroiter un marché » : en échange de sa libération, il devra raconter son parcours de pervers. Ce sera l’objet des plus de 300 pages du dernier roman d’Ellroy, l’un de ses plus extrêmes.
En explorant l’histoire de Confidential, célèbre magazine US à scandale des années 50, qui faisait ses choux gras des sordides secrets sexuels d’Hollywood comme ou des activités anti-américaines des « Rouges », James Ellroy a dégoté le personnage – réel, donc – de Freddy Otash. Freddy, beau gosse d’origine libanaise, ex-flic mais vrai criminel, expert dans le chantage, l’extorsion, le proxénétisme, et ne reculant pas devant l’assassinat lorsque ses commanditaires – principalement la police de Los Angeles – l’exigent, a visiblement fasciné Ellroy au point qu’il s’est totalement identifié à lui : entre son obsession de venger, ou de défendre jusqu’au bout – jusqu’au crime donc –, les jeunes femmes victimes de prédateurs sexuels, sa sexualité faisant le grand écart entre romantisme fleur bleue et fascination pour le vice, ses sympathies occasionnelles envers l’extrême-droite, sa consommation incontrôlée d’alcool et d’amphétamines, et surtout son usage immodéré des allitérations et des assonances – qui rend d’ailleurs le livre encore plus intraduisible que les autres œuvres d’Ellroy (bravo à Sophie Aslanides pour ses efforts méritoires !) -, on a l’impression qu’une grande partie de ce que l’on sait de la jeunesse de l’écrivain se trouve encapsulée dans les délires hauts en couleurs de Freddy Otash.
Panique Générale n’est pas réellement un polar, même si dans sa seconde partie, Otash se lance sur la piste d’un violeur assassin lié au tournage de la Fureur de Vivre, le célèbre film de Nicholas Ray qui a transformé James Dean en star planétaire, et qu’il finit dans les dernières pages par l’identifier : ce livre est un long et épuisant récit de perversions morales et sexuelles en tous genres, dans lequel (à peu près) tous les personnages sont réels et célèbres : de Liz Taylor à Marlon Brando, de Rock Hudson à Natalie Woods, d’Ingrid Bergman à Jack Kennedy (bien sûr !), tout le monde partouze, boit, se drogue, se prostitue. A tel point qu’il est difficile de réconcilier ces récits dantesques de dégénérescence extrême avec les images que nous avons tous de stars de Hollywood (ou de « Zombiewood », comme l’appelle Freddy Otash) qui nous semblaient quelque part intouchables… La lecture de Panique Générale peut de fait s’avérer destructrice vis-à-vis de nos illusions : nous pensons particulièrement à la description terrible que livre ici Ellroy du comportement d’un Nicholas Ray, qui est quand même l’une des icones du cinéma US « rebelle » !
Panique Générale n’est pas un nouveau chef d’œuvre d’Ellroy, du niveau de ses célébrissimes trilogies sur Los Angeles ou sur la politique US, mais – et c’est peut-être mieux, finalement – s’avère un brûlot aussi fascinant (par le style inimitable de son auteur) que désagréable (par l’accumulation ininterrompue d’horreurs). Avec Panique Générale, Ellroy nous confirme que, même dans un livre « mineur », il est l’un des écrivains actuels les plus originaux, les plus provocateurs et les plus créatifs.
Eric Debarnot