La réapparition après 20 ans d’oubli d’un album largement inconnu de Neil Young & Crazy Horse s’avère une très belle surprise : Toast est superbe, peut-être le meilleur album du Loner que l’on ait entendu depuis des années…
En 2001, entre deux albums plutôt moyens, Silver and Gold et Are You Passionate?, Neil Young, le prolifique, ne publie aucun disque. Mais, ce que l’on ne sait pas à l’époque, c’est qu’il a enregistré avec Crazy Horse un album d’une cinquantaine de minutes, qu’il décidera de ne pas sortir pour des raisons aujourd’hui encore largement inconnues, même s’il se dit que Neil le jugeait à l’époque beaucoup trop TRISTE (hein !?)… 21 ans plus tard, voilà donc enfin Toast qui arrive sur nos platines. Et surprise – ou pas ? – c’est un disque magnifique, qui nous paraît, après quelques écoutes, nettement supérieur à Broken Arrow (1996) et à Greendale (2003), les deux LPs gravés avec le Crazy Horse au cours de la même période. Les voies de Neil Young sont impénétrables…
… rectifions immédiatement la notion de « album inédit »… Car Neil Young ne devait pas être aussi déçu que ça par ce qu’il avait écrit et joué, puisque Quit, l’intro très soft / émotionnelle se retrouva, sous le titre de Don’t Say You Love Me, sur l’album « soul » Are You Passionnate?, réenregistré avec Booker T. & the MG’s. On y retrouve aussi Goin Home, dans une version identique, avec Crazy Horse, mais allongé d’une bonne minute, How Ya Doin’ ?, rebaptisé Mr. Disappointment, et l’ample Boom Boom Boom, dont les treize minutes figurant sur Toast ont été réduites à neuf pour devenir She’s a Healer. Bref, les aficionados et véritables experts de Neil Young pourront se délecter en comparant attentivement ces quatre titres d’un album à l’autre, et en tireront, au choix, les deux conclusions entre lesquelles on hésite : oui, les versions avec Booker T. sont plus sophistiquées – principalement grâce aux interventions de l’orgue – que celles des « primitifs » de Crazy Horse, ou bien, inversement, les différences sont finalement peu significatives et ne changent pas l’impression que laisse chacune des chansons.
Quant aux trois morceaux inédits apparaissant – du moins à notre connaissance – pour la première fois sur Toast, ils varient du simplement roboratif – mais plaisant – pour Standing in the Light of Love (et un petit riff saturé de plus au catalogue du groupe…) et Timberline (le Crazy Horse envoie du bois… ah ah !) au formidable Gateway of Love, une pièce épique de 10 minutes qui a adopte pourtant un rythme chaloupé vaguement latino, fort bien venu.
Il vaut mieux finalement oublier complètement Are You Passionate? (qui reste un bon album, même s’il avait été méprisé de manière assez peu compréhensible à sa sortie) et écouter Toast pour ce qu’il est, un véritable album de Neil Young & Crazy Horse. Et un album qui alterne avec élégance entre des chansons plus douces, plus subtiles aussi que d’habitude pour le groupe, et quelques poussées d’électricité à la force indiscutable. En prenant en compte le fait que les 7 titres de l’album tournent autour du désarroi amoureux de Neil, il est indéniable que, même lorsqu’ils jouent de manière plus légère, plus élégante, comme sur la longue – et absolument magnifique – conclusion jazzy qu’est Boom Boom Boom, la profonde humanité qui se dégage systématiquement de la musique de Crazy Horse sert formidablement les compositions du Loner. Et que se dégage de manière insistante de Toast une fragilité bouleversante.
Bref, en ne faisant pas confiance en la magie paradoxale de son groupe le plus fidèle, et en réenregistrant certaines chansons pour les assembler avec d’autres titres issus d’un contexte différent, il semble évident que Neil Young s’est profondément trompé : il avait entre les mains en 2001 un excellent album de Crazy Horse, qu’il a inexplicablement abandonné.
Heureusement, en 2021, cette erreur incompréhensible est désormais réparée.
Eric Debarnot