En juin 2022, la saga familiale des Pearson est arrivée à son terme. On savait depuis 2021 que la sixième saison serait la dernière, et cette annonce précoce de la chaîne américaine NBC qui commandite This Is Us a permis aux scénaristes de lui donner une conclusion décente. Mais la série a-t-elle réussi la gageure de nous passionner au long de six années ?
En 2018, quand nous évoquions ici les deux premières saisons de la série This Is Us, nous écrivions : Le projet véritablement casse-gueule aurait pu être d’une mièvrerie assumée, ou basculer complètement dans le pathos, mais, à l’image de sa bande-son qui regorge de douces pépites folk, la série choisit le versant intimiste et pastel dans la mise en scène de ces scènes de vie. Et à dire vrai, nous avions raison. Pendant au moins 3 saisons complètes, la série qui ne fait que raconter la vie d’une famille à plusieurs moments de son existence, a réussi l’exploit de maintenir son spectateur dans une attente toujours renouvelée.
Il y avait plusieurs ingrédients qui ont contribué à cet intérêt initial, qui, ne créons pas un suspense insoutenable, ne sont pas arrivés à renouveler notre impatience jusqu’à la saison 6 et son dernier au revoir aux Pearson, dans un final tire-larmes.
This is us, surtout pendant les 3 premières saisons, c’était avant tout le plaisir d’un jeu d’acteurs vraiment bien foutu, solide, qui a été pointé aux Emmy Awards. Mandy Moore (Rebecca) la mère , Milo Ventimiglia (Jack) le père, Sterling K. Brown (Randall) l’un des 3 jumeaux, Chrissy Metz (Kate) la sœur, Justin Hartley (Kevin), et Susan Kelechi Watson (Beth) la compagne de Randall, servent de pivot à une histoire familiale en forme de chronique s’écoulant sur une vingtaine d’années. Adultes, ils doivent incarner la conséquence des actions de leur jeunesse. Puis, rendus plus âgés par le grimage, il se remémorent des moments dont nous avons été témoins dans les premières saisons. Et ils le font bien. Le maquillage n’est qu’un artifice : la série tient toujours par le jeu des acteurs, qui créent des personnages tenant la route de bout en bout.
Comme pour toute série, on imagine bien que l’écriture n’a pas été monolithique au fil des six saisons, et pourtant, jamais en tant que spectateurs, nous n’avons eu vraiment l’impression que les souvenirs qu’on nous a ajoutés, voire plaqués de saison en saison contredisent la véracité ou les briques fondatrices du caractère du personnage tel qu’inventé par l’acteur. Un vrai défi puisque la série fait des voyages dans les souvenirs une mécanique constitutive. Et se retrouve rapidement à devoir broder des faits fondateurs. Le jeu d’acteurs est d’ailleurs, à la réflexion, ce qui sauve vraiment la série.
This is us, c’est aussi, pendant au moins 3 saisons, le plaisir de découvrir une saga familiale, à travers une narration éclatée, qui promène le spectateur des années 90 aux années 2022 (réussissant même, d’ailleurs, à intégrer la crise du Covid ou l’évocation de faits d’actualité). Pendant quelques saisons, on a été tenus en haleine par les sauts temporels. Et quand démarrent certaines scènes du présent ou du futur, on se surprend un temps à essayer de les rattacher aux conséquences d’un fait qui n’aurait été qu’esquissé jusque là, dans la narration des souvenirs. Et ça, c’était nouveau : il n’y avait guère que Boomtown quelque part en 2002, pour jouer ainsi avec des ellipses pour faire avancer le scénario.
Cette mécanique, qui a fait le sel des premières années… est devenue aussi au fil de la centaine d’épisodes diffusés, un gimmick parfois lourdingue. On sentait arriver les plot twists, on réalisait quand certains indices sont étaient dans une scène du passé pour mieux expliquer le présent… On en venait à se dire que quand même en six ans, on en aurait vu des leçons de vie au gré d’anecdotes d’enfants, qui ont un impact majeur sur les adultes devenus. Pire encore : parfois on se disait même : ah là, à tous les coups on va avoir droit à une scène où le pater familias inculque une valeur familiale à sa progéniture. Et on a été rarement contredit.
Et puis il y a l’intérêt décroissant de ces petites histoires de famille, année après année (ce n’est pas pour rien finalement qu’un remake français sur TF1 voit le jour). Tenir quelques temps sur la vie un peu banale d’une famille de la middle class américaine de la fin des nineties… ça pouvait le faire… au moins mettons, pendant 3 ou 4 saisons, en nous rajoutant ce qu’il fallait d’évènements : le mariage de l’un, l’alcoolisme de l’autre, le désir d’enfant, la maladie… Les scénaristes arrivaient ainsi à renouveler suffisamment notre intérêt.
Sur les deux dernières saisons, les tentatives d’élargissement deviennent cependant presque un peu « cringe »… Mince on n’a plus rien d’anecdotable, ajoutons des pièces rapportées, rendons leur vie subitement plus difficile à tous. Et une fois encore, on en vient à se dire : « ok il est temps que ça s’arrête ». La sympathie – légère, mais réelle – qu’on peut ressentir pour une saga familiale sans grand fond où, à part un évènement fondateur, la trame narrative a l’épaisseur des nos séries adolescentes, ne tient guère au de là de 4 saisons. Elle s’étiole ensuite chaque épisode un peu plus, pour atteindre la limite du supportable sur les derniers épisodes.
Venons-en à l’élément repoussoir qui fait dire : ENFIN ! au bout de la sixième saison, qui nous fait nous demander par quel sombre masochisme, nous continuions à fréquenter la famille Pearson, dont objectivement nous ne préoccupions plus vraiment depuis une grosse vingtaine d’épisodes.
A force de creuser 20 années de vie (ou à peine plus…) les coutures scénaristiques sont devenues de plus en plus apparentes. Les Pearson semblaient exister en vase clos, coincés par la mécanique des flash back / flash forward. Ces gens ne vivent qu’entre frères et beaux frères, partageant tous les mêmes amis, les mêmes fêtes de famille, rencontrant des pièces rapportées qui n’ont pas de proches (ou alors à peine évoqués). Ils n’ont pas de vie propre en dehors de leur fratrie, ou des souvenirs pesants qui les unissent. La mécanique “en avant” / “en arrière” en bloc parental finit par absorber toute possibilité d’élargissement des intrigues. Si quelqu’un entre dans la vie d’un Pearson, il doit y entrer pour un moment suffisamment long pour qu’on puisse le voir à deux époques, pour qu’une leçon qu’il donne dans le passé trouve sa conclusion dans un futur, pour qu’il soit présenté à toute la tribu… Petit à petit cette obligation scénaristique étiole complètement la possibilité pour la série de se réinventer, pour le spectateur de s’enthousiasmer, pour l’intrigue de se renouveler… Jusqu’à arriver à un season finale un peu “pathétique” où n’interviennent QUE les gens qu’on a suffisamment vus pour leur donner une épaisseur narrative, rendant l’ensemble éminemment factice.
On le comprend, à notre humble avis, c’est sur la longueur que This is us finit par ne plus tenir sa promesse de présenter une saga familiale intéressante ou poignante. Rapidement engoncée dans sa méthode de fonctionnement, mettant globalement sous cloche les quelques protagonistes sans arriver à renouveler les points d’intérêt, This is us a fini par s’étouffer elle-même. Et au plaisir de retrouver des personnages campés avec une vraie efficacité artistique, s’est substitué l’ennui de la routine scénaristique, méthodologique et familiale.
Série ancrée dans un moment de télé (l’ère du début du binge watch par saison entière), This is us nous a tenu pendant plusieurs années par ce rendez-vous régulier qu’elle nous offrait. Nous ne sommes pas persuadés que si nous la découvrions a posteriori aujourd’hui, nous arriverions au terme des six saisons sans esquisser maints bâillements involontaires.
Denis Verloes