Honnie par John Lydon mais finalement relativement respectueuse d’une certaine vérité, la série Pistol réussit à évoquer quelque chose de l’explosion punk de 1977, mais déçoit du fait de choix discutables en termes de réalisation, de script et de direction d’acteurs.
A force d’entendre John Lydon pester et rager contre la série TV Pistol développée par Craig Pearce et mise en scène par Danny Boyle à partir des mémoires de Steve Jones, on était très impatient de juger sur pièce de l’étendue du scandale. Or, s’il y a un scandale, c’est plutôt au niveau de la qualité générale de la série que de ce qu’elle raconte : Boyle, qu’on aurait imaginé être le réalisateur parfait pour raconter la brève histoire, pleine de bruit et de fureur des Sex Pistols, paraît curieusement mal à l’aise et livre une réalisation et une direction d’acteurs très irrégulières, voire approximatives, à la limite de l’amateurisme. On peut évidemment espérer que ceci est le résultat voulu d’une démarche « punk », mais cela donne surtout l’impression que Boyle n’a pas compris grand-chose à ce que signifiait être punk en 1976-1977. Paradoxalement, ce sont quand même les scènes de concerts qui fonctionnent le mieux et arrivent à retrouver un peu de l’ambiance si particulière de l’époque : on peut d’ailleurs parier qu’il s’agit là du résultat de l’enthousiasme des acteurs qui jouent et chantent tous les morceaux eux-mêmes en y mettant clairement tout leur cœur.
En ce qui concerne le sujet central qui irrite Lydon (devenu d’ailleurs un redoutable réactionnaire soutenant le Brexit et les aspects les plus rétrogrades de la politique des Tories), rien ne semble terriblement problématique : Malcolm McLaren est bien le connard manipulateur et malhonnête qu’il était (l’interprétation livrée par Thomas Brodie-Sangster, à côté de la plaque, est parfaitement irritante), tandis que Rotten est représenté comme un jeune homme de plus en plus engagé dans le processus créatif, sérieux vis à vis du projet musical et de la démarche « politique », regrettant les conséquences de sa décision d’embarquer dans l’aventure son ami Sid Vicious… bref, on ne voit pas ce qui indispose Lydon dans cette représentation des événements, qui correspond d’ailleurs peu ou prou à ce que l’on a rapidement su de l’odyssée des Sex Pistols. A moins que ce ne soit simplement de la jalousie vis-à-vis de Steve Jones, qui, avec son insécurité chronique, résultat de la tyrannie d’un beau-père infect, et avec ses rêves de succès féminins, est clairement au centre du récit ?
Si le scénario reprend toutes les étapes bien connues de la construction et de la destruction du groupe, il choisit aussi de mettre l’accent sur de nombreux personnages féminins, quitte à tordre un peu le cou à la vérité : ainsi le rôle de Chrissie Hynde qui fut en effet un temps vendeuse dans la boutique « Sex » de Vivienne Westwood et qui a été amie du groupe, et de Jones en particulier, semble ici fondamentale dans la formation musicale de Jones, ce qui est sans doute un tantinet exagéré. Plus gênante est l’inclusion dans le second épisode (Bodies) d’un long passage sur une jeune femme mentalement instable dont l’horrible histoire aurait inspiré à Rotten le texte très critiqué (sans doute mal compris) de la chanson du même nom. On aurait préféré à cette partie clairement fictionnelle suivre de plus près la trajectoire de la fascinante Jordan (Maisie Williams, de Game of Thrones) qui inventa à elle seule nombre de codes vestimentaires traduisant de manière provocatrice la révolte féminine, voire Siouxsie Sioux dont la présence au sein du Bromley Contingent est ici avant tout décorative.
Mais s’il y ici un vrai échec dans la série, au-delà de ses déficiences formelles et d’une interprétation générale chaotique, c’est plutôt dans l’incapacité des auteurs à traduire l’aspect « mouvement » de la révolution punk qu’il réside : on ne voit rien dans Pistol de l’effet d’entraînement du groupe sur des gens comme les Clash, les Damned, les Buzzcocks, et tant d’autres, ni non plus d’ailleurs des liens tissés avec la scène new yorkaise où le mouvement punk avait même précédé celui de Londres, et en particulier du rôle d’un artiste aussi fondamental que Richard Hell, dont le nom est seulement mentionné, et rapidement.
Malgré toutes ces faiblesses non négligeables, il faut toutefois reconnaître que le visionnage des 6 épisodes de Pistol ménage bien des satisfactions à tous ceux qui ont eu la chance de vivre cette époque unique où le slogan « No Future » signifiait exactement le contraire : que la jeunesse de 1977 voulait s’approprier son futur. Espérons que les plus jeunes téléspectateurs y puisent l’inspiration de créer leur propre révolution.
Eric Debarnot