Film policier réaliste qui annonce depuis le début qu’il sera sans issue, la nuit du 12 s’avère néanmoins un constat accablant et régulièrement bouleversant de ces fractures incompréhensibles qui séparent les générations, et surtout les hommes des femmes.
Il y a quelque chose du brillant Memories of Murder dans le nouveau film de Dominik Moll, qui s’éloigne pourtant de son savoir-faire reconnu en matière de thriller pour livrer ce qui s’apparente aussi un peu à une version contemporaine du L627 de Tavernier. En nous annonçant d’emblée que l’affaire – réelle – dont le film s’inspire n’a jamais été résolue, en montrant son personnage principal tournant en rond sur une piste de circuit qui figure et sa vie et la vanité de son travail à la PJ, qui ne produit que des rapports et peu de résultats, Moll ne nous ment pas.
Même si, aussi désespérément que les deux « héros du films » obsédés par la résolution d’un meurtre abominable et inexplicable – une jeune femme à qui on a mis le feu, comme promis dans un morceau de rap vengeur -, le spectateur espère une solution, un coupable, nous vivons dans un monde où les réponses n’existent plus. Où l’on ne peut que constater, atterré, que l’abime grandit entre les jeunes qui jouissent et les vieux qui jugent (ni les uns ni les autres n’ont d’avenir), et surtout entre les hommes (qui tuent et enquêtent) et les femmes (qui sont tuées et condamnées à errer tels des fantômes dans les souvenirs des vivants).
La nuit du 12 est un film terrible, accablant, régulièrement bouleversant, parce qu’il représente mieux que la plupart des films vus récemment notre impuissance fatale devant un monde incompréhensible où seule la haine de l’autre s’exprime.
Mais, et c’est très beau, et c’est d’ailleurs là une différence énorme avec le chef d’œuvre de Bong Joon Ho, à la fin, Moll nous distille quelques messages d’espoir : une fleur sur une photographie qu’on imprime pour ne pas déprimer, une juge d’instruction malicieuse et obstinée dont on pourrait tomber amoureux (Anouk Grinberg, qu’on retrouve, formidable), l’acceptation d’une vie possible aux côtés de nos fantômes. Et l’échappée du cycliste vers le col : la vie est ainsi, pour arriver à respirer, il faut faire d’immenses efforts, et on n’est jamais certain d’y arriver. Mais c’est quand même possible.
Eric Debarnot