Il y a heureusement des gens qui aiment le Rock et aiment aussi rire, et en rire, et le Festival Restons Sérieux du Supersonic n’hésite pas à mettre en avant des groupes aussi singuliers que les fabuleux Irnini Mons ou les délirants les Clopes. Récit d’une soirée agitée.
S’il y a quelque chose de gênant dans le Rock, c’est bien sa tendance à se prendre au sérieux. Au tragique même. Et du coup, à souvent tordre le nez devant tous les gens qui préfèrent la fantaisie, l’humour, voire le gros délire : pour prendre un exemple extrême, on peut parier que Sparks auraient été bien plus énormes s’ils n’avaient pas constamment usé de la dérision comme mode de communication. Pire encore, combien de mélomanes branchés et de bon goût connaissons-nous qui vouent aux gémonies le rock « festif » ?
La belle idée du festival Restons Sérieux, c’est justement de mettre en avant ceux qui refusent de s’y prendre, au sérieux, qui ont envie qu’un concert soit festif,… et en particulier s’ils chantent en français, ce qui devient vraiment rare dans le Rock hexagonal… Deux bonnes raisons d’assister donc à ces soirées au Supersonic, avec ce soir une grosse affiche décalée, avec en tête des choses aussi singulières que Irnini Mons et les Clopes.
22h15, avec un peu de retard, les 2 filles et les 2 garçons lyonnais de Irnini Mons attaquent leur set. Si le nom de ce groupe est bizarre, c’est que c’est celui d’un volcan vénusien… ce qui est une excellente référence pour des gens qui font de la musique aussi inclassable : on les attend comme le messie pour leur premier concert parisien, vu le coup de cœur qu’a été leur premier disque éponyme…mais on ne s’attendait pas vraiment à une telle claque.
Le quatuor ne paie pas de mine au premier abord, avec leur look de gens bien gentils et propres sur eux, mais se transforme en une véritable tornade sur scène. Le premier titre, Feu de Joie, qui ouvre magnifiquement l’album, avec son mélange de trucs chelous genre troubadours racontant une vague histoire moyenâgeuse d’attaque de château par des manants (Libérez le donjon ! Baissez le pont-levis !) et de déflagrations soniques, se mue en une tuerie intégrale : une petite dizaine de minutes de folie, un des trucs les plus excitants et neufs entendus cette année. Le reste du set de 40 minutes ne retrouvera plus tout à fait cette grâce absolue, mais connaîtra plusieurs autres pics d’intensité : Montréal, bien sûr, qui aborde franchement le rock noisy en se brisant à des moments inattendus, 5100 et son texte étonnant (Coincé à la gare d’Autrans…), En solitaire et son rythme épileptique et Guillaume qui hurle…
La musique est portée en permanence à l’incandescence par le jeu de batterie épique de Fanny, qui nous a d’abord semblé avoir tout de la tranquille mère de famille un peu perdue sur scène, mais nous cloue au sol par sa puissance : Fanny est parfaitement prête à accompagner Eddie Munson quand il joue Master of Puppets dans le Upside-Down ! Bon, on n’entend plus les voix au milieu de la tourmente et certains spectateurs se plaignent. La réponse du groupe est claire et nette : « C’est parce qu’on joue fort : vous écouterez les voix sur le disque ! ». Bien dit, on est d’abord là pour le rock’n’roll ! Ceci bien posé, alors que le groupe met toutes ses tripes dans un dernier titre épique (Ça part en fusée, nous semble-t-il), on se dit qu’on a du mal à trouver des références à cette musique qui explore des genres très divers : Bodega sur En Solitaire ? King Gizzard pour le sens de l’aventure médiévale, mais sans le psychédélisme ni les tendances au prog ? Mais savez-vous, c’est très, très bien comme ça !
23h20 : Il va être difficile pour les Clopes d’enchaîner après ça, mais nous n’avons pas à nous faire du souci, car on est dans un registre bien différent : les Clopes, c’est une autre idée délirante de l’ami Kim Giani, qui a adopté cette fois la persona de Guillaume Patrick, un chanteur nantais new wave roux et dépressif. Mais au fil des mois, alors que sa musique à large contenu parodique (mi-figue, mi-raisin quand même…) est relayée sur scène en format groupe plus ou moins improvisé, et qu’elle rencontre un vrai petit succès, se pose pour les Clopes la question de la reconnaissance (après tout, les Clopes sont en tête d’affiche ce soir !) et de l’évolution…
Mais pour le moment, avec le concours d’un public très, très enthousiaste, disposé à jouer le jeu avec Guillaume Patrick, Alain Chambreforte aux claviers et les autres (sans même parler de la boîte à rythmes comme à l’époque des Bérus…), il s’agit avant tout de s’amuser ensemble à singer les rituels d’un concert de rock un peu caricatural, à partir des codes d’une cold wave électro 80’s dépressive (on connaît l’amour de Kim pour The Cure). Les textes jouent la plupart du temps la gamme de la dérision (Je fume des clopes dans un blockhaus noir parce que je suis déprimé), mais vont facilement jusqu’à l’absurde (« Cimetières extra-terrestres, des donjons, des saucisses, BRUIT !!! »). Ce qui interpelle finalement c’est quand au milieu de déclarations parodiques de Guillaume, parfois un peu longues, émergent quelques phrases qui touchent juste (Nos villes ressemblent à des cimetières, qui est aussi l’occasion d’un hommage touchant à Denis Quélard, du Pop In, qui vient de décéder…) et que le public se plaît à répéter, répéter, chanter en chœur (« Ne m’appelle plus, imagine que je suis dans le désert, sans téléphone cellulaire, à Mulhouse, à Quimper, dans la rue sous un lampadaire… »).
Car derrière le second degré pas toujours léger, il y a l’amour et de la musique et du partage avec le public. Un public qui ne s’y trompe pas, qui pogote et qui rayonne aussi de joie et de complicité. Les Clopes, c’est parfois un peu lamentable (et ils le font exprès) mais aussi souvent enchanteur (mais le savent-ils, même ?).
Oui, la question de quoi faire maintenant des Clopes va très vite se poser à Kim, mais c’est une excellente situation dans laquelle se trouver, et on attend avec impatience ses réponses…
Photos et texte : Eric Debarnot