Voilà déjà la neuvième enquête du Département V, et cette fois, elle bel et bien ancrée dans notre actualité, ne serait-ce que celle de la pandémie : Adler-Olsen propose une fois encore un divertissement qui ne manque pas de pertinence.
Nombreux sont les cinéphiles qui ont découvert les polars de Jussi Adler-Olsen, un autre écrivain scandinave (danois, cette fois) populaire, mais également collectionneur de prix littéraires à travers le monde, à travers les excellentes adaptations en film de ses premières enquêtes du Département V : Miséricorde, Profanation, Délivrance et Dossier 64 sont quatre thrillers solides, malheureusement jamais sortis en salle en France en dépit de qualités de scénario, d’interprétation et de mise en scène surpassant largement la moyenne de ce que l’on peut voir sur nos grands écrans.
Sel est déjà la neuvième enquête de cette drôle d’équipe baptisée Département V, spécialisée dans les cold cases (un concept devenu très à la mode dans le polar ces dernières années), et qui n’aurait jamais dépassé le stade de Dossier 64 sera sans doute surpris de voir combien le département s’est étoffé depuis ses débuts : cette prolifération de personnages et d’anciennes histoires, personnelles ou professionnelles, qui viennent régulièrement « parasiter » le récit principal, et dont l’une va d’ailleurs constituer un élément central de l’action, peut clairement gêner le néophyte qui ne serait pas familier de la série… même si ce n’est néanmoins pas une raison de se priver du plaisir de cette lecture extrêmement divertissante, parfaite pour l’été.
La particularité de l’enquête de Sel, qui tourne autour de la découverte, par hasard, d’une série potentielle de meurtres – déguisés en accidents – s’étant déroulée depuis près de trente ans, le meurtrier laissant systématiquement du sel de cuisine sur la scène du crime, c’est que la « série » n’est pas terminée, et que les enquêteurs vont se trouver engagés dans une course contre la montre pour arrêter le coupable avant qu’il ne frappe à nouveau : le « cold case » n’était pas si froid que ça !
Ainsi résumée, l’intrigue de Sel ne semble pas particulièrement originale, alors qu’au contraire l’approche d’Adler-Olsen tranche avec le commun du polar scandinave : il utilise beaucoup l’humour, en particulier pour décrire les rapports entre les membres du Département V, la palme revenant à Assad, dont l’usage de la langue danoise prête à maints jeux de mots. De plus, et c’est là véritablement une bouffée d’air frais dans l’univers mental du polar qui fonctionne souvent en vase clos, il intègre complétement sa fiction dans notre vie quotidienne au temps du Covid, et surtout du confinement qui devient, de manière très réaliste, un élément important dans le déroulement de l’enquête.
Enfin, et c’est sans doute là l’aspect le plus intéressant de Sel, il interroge nos propres penchants à vouloir juger de la morale des autres, et même à vouloir châtier nous-même l’incivilité dont font preuve quotidiennement tant de personnes croisées dans la rue : jusqu’où cette irritation que nous ressentons de plus en plus – amplifiée par la chambre d’écho des réseaux sociaux – vis-à-vis de comportements que nous estimons moralement condamnables pourrait-elle nous mener ? La permissivité en apparence toujours plus grande de la société trace-t-elle la voie d’une nouvelle violence, voire d’un nouveau fascisme ?
Bref, au-delà du divertissement efficace qu’il est, Sel a le mérite d’être ancré dans notre quotidien, et donc de nous interroger nous-mêmes sur notre propre attitude et nos comportements quotidiens. Ce n’est vraiment pas si mal !
Eric Debarnot